A la mémoire de M. Jean Delons, décédé le 26 mai 2020 et de ses proches

Docteur,

Il y a 365 jours et 2 heures exactement que mon mari nous a quittés et il ne se passe pas un seul jour sans que je ne cherche la raison pour laquelle vous ne m’avez pas demandé de venir auprès de lui plus tôt.

La veille, à 19h, vous me disiez encore que son pronostic vital n’était pas engagé à ce stade alors que, déjà, il n’avait plus la force de parler tant son énergie était captée par ses difficultés à respirer.

J’ai besoin de savoir si c’est Jean qui a souhaité ne pas m’avertir ou si c’est vous seul qui avez pris la décision de ne pas me contacter quand votre collègue de garde vous a appelé la nuit pour vous demander s’il devait m’avertir de la tournure que prenait la situation ?

Il existe des directives anticipées : qu’avait choisi Jean ? M’avertir ou non, quelle que soit l’heure, en cas de dégradation de son état de santé ?

Comment avez-vous pu nous dire qu’il n’y avait rien à regretter, que de toute façon, il ne lui restait que quelques mois à vivre ? Inversez les rôles. Mettez vous à la place de celles et ceux qui aiment et du malade lui-même qui aurait sans nul doute aimé dire « Au revoir » à ses enfants et à son épouse plutôt que de les quitter aussi violemment. 

Il était angoissé, m’avez-vous dit. Ne croyez-vous pas qu’il avait toutes les raisons de l’être ? Il allait mourir – il le savait, il le sentait – mais de surcroît  sans revoir celles et ceux qu’il aimait et qui l’aimaient. 

Prisonnier de la morphine, ses paupières qu’il essayait vainement d’ouvrir alors que nous lui parlions, que nous le touchions, ses enfants et moi-même, m’incitent à penser que vous ne lui avez pas laissé le choix, très franchement.

Je ne suis pas dans un état d’esprit de rébellion ou de procès ; je voudrais juste recommencer à vivre.

J’ai été par ailleurs très choquée et attristée  que personne ne nous ait adressé la moindre condoléance alors que vous le disiez tant apprécié, qu’il s’agisse de X et des autres médecins et même de la psychologue que nous n’avons vu qu’une seule fois, les enfants et moi.

Si Jean était aussi apprécié, pourquoi le corps médical ne s’est-il pas manifesté un minimum ? On parle beaucoup du soutien que les proches apportent aux malades. Ils sont un complément aux soins et aux traitements que vous apportez. Est-ce ainsi que ces derniers doivent être traités ? Ils n’existent pas.

Cela me laisse à penser que mon mari était une sorte de cobaye et qu’une fois devenu « inutilisable », il ne valait pas la peine de la moindre reconnaissance.

Nous sommes des êtres humains et non pas des animaux de laboratoire.

Comment voulez-vous que je surmonte cette épreuve dans ces conditions ? 

Quand pouvez-vous me proposer un rendez-vous afin que nous en discutions et que je sache qui a pris la décision de nous tenir éloignés de ses derniers instants ?

Pourquoi a-t-il pu voir sa fille la semaine précédente et non pas son fils ? Ne croyez-vous pas que ce souvenir ne resurgira pas un jour ? 

Pourquoi permettre aux proches de rester longtemps auprès du malade quand vous savez qu’il va partir et les en empêcher lorsqu’il s’agit de lui apporter un soutien moral et physique de son vivant conscient ?

J’ai besoin de savoir.

Vous avez été le seul à faire preuve d’humanité et d’empathie. Aidez-moi.

Isabelle Delons