"Nul ne pourra sortir indemne de cette expérience traumatique"

Edito par Bernadette Ojardias & Annie Rousseau

Pour le Collectif Ehpad Familles42

À l’instar de Sisyphe, depuis juin 2020 et la fin du premier confinement, le Collectif EHPAD Familles42, porte la voix fragile, et non prise en compte des résidents de ces établissements, afin qu’ils puissent retrouver leurs droits de citoyen (aller et venir ; sortir), leur statut de Sujet – être consulté et entendu-, et renouer avec leurs liens familiaux et sociaux.

Car, nous ne cessons d’interpeller, contacter, solliciter les instances et divers partenaires concernés par le « Grand âge », et la Santé : éthique et accès.

« Le retour à la vie normale » en EHPAD, tant espéré, n’est pas encore d’actualité dans nombre d’établissements, puisque les « mesures d’assouplissement » préconisées dans le protocole du 19 mai, ne sont pas respectées par certaines directions. D’ailleurs, Brigitte Bourguignon a évoqué récemment la possibilité de « sanctions » si les situations de non-application perduraient….Cette reconnaissance officielle validant les nombreux témoignages de familles signalant ces dysfonctionnements graves, et ces disparités incompréhensibles au sein d’un même secteur géographique, génère un certain soulagement à visée partiellement réparatrice.

Néanmoins, dans une perspective de prise de recul et de remise en cause du fonctionnement insatisfaisant de notre système de santé, la mise en place d’une instance de suivi et de contrôle sur le terrain, de ces applications ne serait-elle pas pertinente ? De même qu’une réflexion concernant le profil de poste des directions, ayant à porter plutôt seule jusqu’à maintenant, la « décision finale » à prendre quant aux « recommandations et préconisations » gouvernementales relayées par les ARS ?

Une concertation sur  les moyens d’exercice d’une démocratie sanitaire ne serait-elle pas indispensable, sans tarder ? Des « abus de pouvoirs » et des positions de « toute puissance » ayant été, à de trop nombreuses reprises constatées.

 

Au terme de cette année écoulée, qu’avons-nous appris :

La Puissance du Lien pour nourrir l’envie de Vivre : évidence unanimement partagée au sein de notre société dans tous ses secteurs d’activité : économie, écologie, enseignement, culture, santé, etc., par toutes les tranches d’âge. La professeure Priscille Gérardin, responsable des Unités universitaires de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU de Rouen) témoigne : « On a cru que cette génération hyper-connectée, très à l’aise avec les nouvelles technologies et adepte des réseaux sociaux allait continuer à surfer et pouvoir se contenter du virtuel. On s’aperçoit aujourd’hui des limites des contacts à distance ? » Le « bain social » est vital pour chacun d’entre nous ; que dire du bain familial pour ceux parvenus aux dernières étapes de leur chemin de vie ? Sa privation drastique durant le 1er confinement fut dévastatrice. Cela ne peut se reproduire. Ouvrons des espaces de concertation afin d’imaginer d’autres dispositifs de fonctionnement, dans lesquels référent familial, médiateur institutionnel, bénévole auraient un rôle à jouer.

Ces nouveaux intervenants participeraient au maintien d’une dynamique institutionnelle éthique, afin que l’équilibre entre « sanitaire, sécuritaire, humanitaire » tellement mis à mal dans cette gestion sanitaire le soit moins, en respectant la place de chacun. La présence de « tiers » ne faisant pas partie du personnel des EHPAD aurait pour objectif de freiner les mécanismes de replis et de veiller au respect des bonnes conduites et pratiques de soin.

Au regard du Collectif, la primauté du Lien est si incontournable, que son évaluation par les professionnels de santé (médecins coordonnateurs et généralistes) devrait relever des bonnes pratiques –au même titre que les « prises de constantes » effectuées lors de leur examen clinique afin d’établir le bilan de santé de leurs patients. S’assurer de ce lien, dans sa permanence et continuité, aurait pu contribuer à prévenir les nombreux syndromes de glissement qui resteront inchiffrables ! Cela doit interpeller tout soignant, et le « sauve qui peut biologique » doit être questionné dans une remise en cause des représentations de la Santé.

Ce virus a ouvert la boîte de nos peurs : celles anxiogènes de contamination, maladie, étouffement, effondrement, abandon, mort. Ces peurs ont pris le contrôle de la raison et du discernement. Elles ont provoqué des ruptures de communication et les plaintes des familles reflètent ces constats de blocages/clivages entre directions-équipes et elles. Les positions se sont figées, les professionnels rappelant leurs compétences aux familles voulant être entendues dans leurs connaissances intimes de leurs proches. Les savoirs se sont heurtés, parfois violemment ; les résidents,« au milieu », subissaient les effets de ces tensions extrêmes…  Certains soignants ont pu exprimer  leur ressenti d’avoir pu être maltraitants dans un contexte où beaucoup d’équipes ont fait au mieux de leurs possibilités avec les moyens dont elles disposaient. Ces vécus de souffrances professionnelles devront être évalués et repris, car trop peu de groupes de parole ont été pensés pour  les soignants. Une carence  dans l’organisation des soins, qui en compte d’autres, laissant perplexes quant aux réaménagements nombreux à entreprendre rapidement.

En conséquence, le rapport de la Défenseure des droits constitue un document de référence essentiel, insistant sur les droits bafoués, et questionnant sur « des  garanties complémentaires » pour s’assurer de leur rétablissement. Dans un contexte sanitaire aussi affligeant, une culture du dialogue nous semblerait vraiment prioritaire..

Ce virus n’en finit pas de nous renvoyer à nos incohérences, fragilités et failles.

Le Collectif souhaite poursuivre dans la voie de l’échange, et des propositions. Malgré le désarroi et l’impuissance souvent ressentis, nous voudrions éviter de basculer dans le « Ci-gît l’amer : guérir du ressentiment », beau titre du livre de C .Fleury. Nous sommes conscients de vivre une étape charnière, porteuse d’enjeux essentiels quant aux choix et décisions à prendre pour dépasser cette crise. Le courage politique est un ressort non négligeable dans cet objectif s’il privilégie une stratégie de concertation et d’équité, ainsi qu’un profond désir d’instauration du « care » tel qu’évoqué par Sandra Laugier.

La dimension du « prendre soin » serait à réinterroger, dans la mesure où de nombreux « conseils d’ordre professionnels » ont du lancer des appels pour inciter chacun à réfléchir quant à ses responsabilités à la fois individuelle, civique et déontologique.. Que signifie le « vivre ensemble  s’il ne s’accompagne de solidarité, d’entraide et dépassement de soi ?

Pour l’heure les familles en souffrances, endeuillées ont besoin d’écoute et de soutien. Le Collectif propose cet espace, car il ne sera pas facile de « Vivre avec nos morts » (Delphine Horvilleur).  Nul ne pourra sortir indemne de cette expérience traumatique.