Le confinement, révélateur de la fragilité des soutiens aux proches-aidants

La reconnaissance des proches-aidants

Depuis quatre à cinq décennies, la situation des proches-aidants et les défis auxquels ils sont confrontés sont de mieux en mieux pris en compte. Les moyens de soutenir l’entourage des personnes malades ont été très progressivement améliorés. Face au sentiment des proches d’être peu préparés et peu compétents s’est déployée une politique d’interventions à l’interface entre éducation et écoute favorisant l’aptitude à résoudre les problèmes et consolidant la confiance d’être en mesure de gérer le quotidien. Face au risque d’épuisement, de nombreuses formes de relais professionnels au domicile ou en institution et de dispositifs de répit ont été inventés, en s’adaptant aux besoins, en faisant leur preuve et en se saisissant peu à peu d’opportunités de financements. Face à l’isolement – d’une part lié à l’éloignement des enfants, et d’autre part accéléré par l’étiolement du cercle amical avec l’évolution de la maladie – des réseaux associatifs, communaux, professionnels se sont tissés. Face à l’inconnu en termes d’évolution des symptômes, de préservation des capacités motrices ou cognitives, de durée de la maladie, d’endurance face aux responsabilités croissantes, la réflexion s’est engagée sur l’anticipation et son accompagnement, et sur les modes d’appropriation de l’avenir. Face à la tentation de repli, à la résignation, à l’enfermement dans une résistance souterraine, les professionnels sensibilisent les proches-aidants à l’intérêt de se laisser aider et se réinventent eux-mêmes au quotidien pour proposer des ressources de plus en plus riches et personnalisées. Ces progrès, encore insuffisants mais tellement importants, ont été grapillés, gagnés peu à peu, souvent à force d’inventivité des professionnels, et d’engagement des bénévoles.

La réaction à la crise

La crise sanitaire liée au Covid-19 fait aujourd’hui vaciller ces évolutions sociétales, et en souligne les fragilités et les limites de façon inédite. Parmi ses conséquences les plus fortes, le confinement s’est imposé dans une hiérarchisation des enjeux où la préservation des moyens de soin au niveau national prévaut sur d’autres considérations. Écoute, confiance, anticipation sont mises à mal tandis que les risques d’épuisement, d’isolement et de repli apparaissent comme les effets indésirables assumés du « traitement » préventif mis en place à plus large échelle. La société n’était pas prête à affronter la crise présente. L’enjeu n’est pas dans la disponibilité des masques ou l’efficacité d’une molécule donnée, mais dans l’organisation auprès des personnes qui vivent avec la maladie et auprès de leurs proches. Force est de constater que ces personnes soutenues à bout de bras par la société, lui sont tombées des mains. Le contact est en grande partie rompu avec les proches-aidants, du moins avec beaucoup d’entre eux car, dans ce domaine aussi, les inégalités sont légion et sans doute accentuées par la crise.

Il faut avouer qu’aujourd’hui, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Que deviennent les proches et les personnes qui vivent avec une maladie neurologique évolutive durant le temps du confinement ? Les temps faudrait-il écrire, les temps successifs, qui s’allongent au fil des allocutions, sans fin, sans même de déconfinement à portée d’agenda pour les générations les plus âgées. L’anticipation est impossible dans ce contexte, ce qui nous invite à la patience, si ce n’est à la résignation et l’impuissance. Les temps du confinement, ce sont aussi les étapes, à commencer par la première dont on ne sait pas grand-chose : dans ses prémices, comment les familles se sont-elles organisées, se sont-elles déplacées, regroupées ? Lorsque le proche malade était en soin dans un établissement ou y résidait, certaines familles ont-elles pris des mesures pour qu’il revienne au domicile, dans quelles conditions ? Si le proche malade reste soigné à l’hôpital, comment cela se passe-t-il, notamment dans les situations critiques de dégradation de l’état de santé, voire de fin de vie ? Après l’improvisation et l’effarement qui a entouré mi-mars la mise en place du confinement, chacun a tenté en un temps record de s’adapter aux consignes. Lorsque la personne qui a une maladie évolutive et son entourage sont confinés au domicile, comment se passe le quotidien ?

Les questions pour l’avenir

Comment la personne qui vit avec la maladie comprend-elle la nature du coronavirus, du Covid-19, l’utilité des « gestes barrières », le sens du confinement et de l’éloignement d’avec sa famille, l’obligation des attestations de déplacement, etc. ? Comment vit-elle le flux d’informations dans les médias, la mise au chômage partiel de proches, la menace d’une crise économique majeure, les décomptes macabres sur les ondes ? Comment comprend-elle l’injonction à rester chez soi et la disparation d’une partie des professionnels se relayant au domicile ? Comment cela se discute-t-il, comment l’expliquer, comment lever les peurs, alléger l’ambiance si pesante ? Comment le proche s’est-il organisé dans l’urgence puis dans l’après ? Prend-il sur lui de compenser la raréfaction des soutiens professionnels, au risque d’être proche et aidant et kinésithérapeute et orthophoniste ? Comment perçoit-il l’évolution de son proche malade, perçoit-il une perte de repères, une régression dans les capacités ? Comment gère-t-il l’éloignement de l’entourage, la disparition des visites, l’inquiétude de la famille qui peut être tentée de contourner les mesures mises en place ou au contraire d’exercer des pressions pour les faire respecter aux parents ? Comment se réorganise ou s’étiole le contact avec la famille ? Comment s’adapter à ces journées et semaines sans pause, sans perspective de répit, là où s’était peut-être installée une routine avant la crise ? Quelles sont les alternatives mises en place, les évolutions qui se sont imposées et les opportunités qui se sont révélées ? Un réseau un peu différent de l’habituel s’est-il manifesté ou a-t-il été sollicité ? Comment anticiper le risque où soit le proche-aidant, soit la personne malade serait atteint par le Covid-19 ? Les réponses à ces questions permettront de préparer la suite. Il s’agit de s’adapter en profondeur à l’évolution au cours de cette année, car les défis restent nombreux, à un déconfinement par étape et stratifié, à un risque de recontamination dans quelques mois. Il s’agit aussi de disposer des informations pour reconsidérer de façon plus structurelle, les réactions de la société à l’avenir, face à d’autres formes de menaces qui viendraient à nouveau mettre à mal le fragile édifice des compensations et solidarité déployées pour accompagner les personnes malades et leur entourage.

Pascal Antoine

Professeur de psychologie, université de Lille, Laboratoire de sciences cognitives et affectives (SCALAB, UMR CNRS 9193), LabEx DISTALZ.