Au service de l’essentiel : Vivre…

À l’arrêt

Nous savions bien que nous ne pourrions vivre en permanence au printemps. De notre vie, de notre époque, du monde. Et brusquement, silence. À l’arrêt. Muets. Immobiles. Tout d’un coup, nous nous sommes retrouvés bloqués, acteurs inconscients d’un spectacle dont personne ne connaît le scénario. C’est la guerre, nous a-t-on dit ! Plutôt, une guerre asymétrique face à un ennemi invisible ! Sur la ligne de front, les « sans-masques » ont pris la relève des « sans-culottes ». Nous avions le meilleur système de santé au monde et l’anesthésie de cette conviction nous a fait oublier que nous avions plus sûrement le meilleur personnel soignant du monde ! Ce n’est pas la même chose. Quand on est obligé de libérer les énergies des carcans administratifs, on découvre alors des monuments d’ingéniosité et de débrouillardise. Sous les pavés, le système D. On redevient fier d’être français et on applaudit à 20 h, en bons supporters, nos équipes qui défendent la patrie en danger. Et puis, on rentre et on réfléchit.

Un test pour l’humanité

Peut-être que ce n’est pas une guerre mais un test pour l’humanité, une sorte d’avertissement pour nous rappeler que notre faiblesse est bien de nous croire invincibles. On s’aperçoit – bon sang mais c’est bien sûr ! – que « chauve-souris » est l’anagramme de « souche à virus » et que cette crise est le moment où le passé présente la note. On continue de regarder à la télé avec notre perpétuel questionnement des experts qui changent de chaînes comme de maillots. Décidemment BFM Télé n’est pas Radio Londres. À quand un « Référendum d’initiative citoyenne » pour savoir comment soigner ? Les « Progressistes », supporters du Savant de Marseille font des pétitions et agonisent les « Conservateurs » qui s’en tiendraient au savon de Marseille. Au rendez-vous des parleurs de rien, l’humour est finalement la politesse du désespoir. Car, cette maladie, d’un côté, détruit une grande partie de l’Humanité, je veux dire de notre humanité, de l’autre, elle fait apparaître ce qu’il y a de meilleur dans l’Humanité. La mort est devenue tangible et tous les soirs on en connaît le compte en France comme ailleurs. L’ambiguïté de la situation se retrouve dans la réponse à la question : « Comment vas-tu ? » « Bien, pour l’instant ». Notre existence nous paraît plus que jamais fragile et nous laisse sans défense. On a « bouclé les cieux » en fermant les aéroports, puis les bars et restaurants, puis les musées et les librairies, et les écoles… La vie sociale, c’est comme l’air, on ne s’aperçoit qu’elle existe que quand on vient à en manquer.

Liberté – Égalité – Fraternité

Ennemi invisible, entraides à distance, comment continuer à poursuivre une vie ordinaire et conserver un équilibre entre intériorité et ouverture aux autres ? Peut-être en nous efforçant davantage à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Plus facile à dire qu’à faire, en ces temps où paradoxalement le temps aussi rétrécit son espace tout en nous filant entre les doigts à la vitesse de WhatsApp ! Cependant, j’ai l’intime conviction que l’essentiel c’est notre devise : Liberté – Égalité – Fraternité, car cette crise peut élargir les lézardes dans la flèche de la « cathédrale République » ! La Liberté est de rester chez soi pour une bonne raison : sauver notre vie et celle des autres des atteintes du coronavirus. Mais au moment du déconfinement, ceux qui auront appliqué à la lettre les règles n’auront pas été en contact avec le virus, seront non immunisés sérologiquement et devront rester chez eux. Et le confinement sera alors vécu comme un enfermement. Paradoxe au moment où on libère de l’incarcération des milliers de prisonniers ! Et comme on peut faire faire beaucoup de choses à une société qui a peur, de bons esprits sont déjà prêts à expliquer que « pour notre bien et sauver notre vie », il faudra accepter les applications permettant le traçage de notre vie, de nos rencontres, de nos déplacements, des gens que l’on a croisés sans les voir, que sais-je encore ! Ô, « pour un temps limité et sur la base du volontariat ». Que se passera-t-il si l’on n’est pas volontaire ? Quelle sanction à ce manquement au « civisme élémentaire » ? Et surtout quelle efficacité sanitaire réelle puisque c’est de cela qu’il s’agit officiellement ? Les libertés sont des conquêtes lentes, qui ont fait beaucoup de morts et qu’on ne peut sacrifier d’un clic ! L’Égalité devant l’épidémie n’existe pas, même si, évidemment tout le monde peut être infecté. Mais c’est une chose que d’être confinés dans un petit appartement et à plusieurs que dans une maison. Quand le face-à-face remplace le côte à côte, la violence trop longtemps confinée finit par s’extérioriser. La question économique ne se pose pas de la même manière pour tous, même si des efforts ont été annoncés par les pouvoirs publics. « L’État paiera » ! Oui, mais l’État, jusqu’à plus amples informés, c’est nous. « Mieux vaut-il mourir de la maladie que de la récession ? », cette question insidieuse, inconvenante même dans les alternatives de son expression, ne devrait pas se poser et la recherche d’un équilibre entre constance et adaptabilité être la règle. Il n’y a pas les « activités essentielles » d’un côté et les métiers inutiles de l’autre, mais une activité économique et sociale où chacun doit avoir sa place. C’est la force de notre démocratie et la dignité de notre humanité. La Fraternité, ce ne doit pas être seulement un discours. Des milliers d’initiatives, de petites choses, de petites attentions, de sourires viennent apporter ici et là soulagement ou réconfort. La solitude, ce n’est pas seulement une affaire d’état civil, c’est un sentiment autant qu’une réalité aux multiples noms : isolement, anonymat, handicap, grand âge, pauvreté, SDF… N’oublions pas que certaines personnes âgées n’ont de contact tout au long de l’année qu’avec des gens qu’ils payent : boulanger, boucher, épicier, médecin, pharmacien, infirmière, aide à domicile… Les EHPAD vont payer un lourd tribut à cette pandémie que ce soit du fait du Covid-19 lui-même ou du fait de la solitude. Je ne veux pas imaginer ce que l’on découvrira lorsque se réouvriront les portes de ceux, confinés chez eux, et dont on se préoccupe si peu à l’exception notoire de quelques mairies. Comment s’explique la diminution constatée de certaines urgences dans les hôpitaux parisiens notamment, type AVC ou accidents cardiaques ? Enfin, la Fraternité consiste aussi à ne pas enfermer l’autre dans un amalgame permanent : les vieux, par exemple. Combien de milliers d’entre eux sont utiles à la société familiale, associative, locale ou nationale et sans cette masse d’activités et de bénévolats, dans quel monde vivrions-nous ? Alors, avant de parler d’un nouveau monde, fécondé par des rêves dont nous mesurons largement les failles, espérons en un autre monde où le Faire l’emportera sur le Dire, où la Sagesse et la Beauté s’associeront au service de l’essentiel : vivre.

Michel Hannoun

Député, maire honoraire.