Confinement des personnes vulnérables en établissement : des enjeux éthiques

Une nécessaire réflexion pluridisciplinaire et collégiale

Parmi les conséquences de la pandémie dans le quotidien des soignants, la pénurie de certains moyens a fait apparaître la crainte d’avoir à réaliser un « tri » des patients face à l’accroissement des besoins notamment pour les passages en réanimation. Des interrogations ont pu s’exprimer rapidement et les consignes changer au regard de l’évolution de la situation et de l’acquisition progressive de nouvelles connaissances sur le virus. Les espaces éthiques sollicités ont pu apporter des éléments de réflexion face aux diverses thématiques soulevées. Il a fallu poser en préalable que chaque vie est d’égale dignité intrinsèque et que chaque malade devrait avoir droit au meilleur traitement approprié pour son cas. Cette crise actuelle ne doit pas nous détourner de nos valeurs ni des principes éthiques fondamentaux, elle nous oblige plus encore à une réflexion au cas par cas, avec évaluation pluridisciplinaire, précise et honnête des bénéfices et des risques des diverses solutions envisagées, réflexion incluant l’aspect de l’insuffisance éventuelle de moyens pour tous. La crainte évoquée par les proches des personnes âgées en EHPAD ou des personnes en situation de handicap que celles-ci passent « en second » lors de situations requérant des soins de réanimation est bien compréhensible, mais il convient de souligner que, lors d’éventuelles décisions médicales, de multiples facteurs entrent en jeu, l’âge ou le handicap étant l’un d’eux, mais pas le seul. Certaines équipes médicales avaient déjà appris à travailler ces aspects, par exemple en oncogériatrie ou en réanimation, mais cette crise nous fait mieux prendre conscience de notre impréparation pour agir avec justesse, et de nos difficultés à prendre le temps de cette réflexion pluridisciplinaire et collégiale, incluant l’avis de la personne au premier chef, même si elle est fort diminuée au plan physique ou mental, sans oublier si nécessaire de consulter les directives anticipées, la personne de confiance, la famille. Une situation de tension particulière dans les services hospitaliers ne doit pas permettre d’éviter l’application de la loi et oblige plus encore à une réflexion éthique solide et argumentée dans chaque cas.

Une adaptation des règles de confinement

Les difficultés liées au confinement des personnes vulnérables en établissement ont beaucoup mobilisé les responsables et les personnels. Le confinement, qui représente certainement une bonne solution sur le plan sanitaire, représente aussi la pire des solutions sur le plan social, en particulier pour les plus âgés vivant en EHPAD. Même en période de crise, il importe de préserver l’essentiel : la dignité et les droits fondamentaux des personnes, en particulier sous l’angle de leurs besoins relationnels, au plan psychologique mais aussi affectif et spirituel. Au fil des recommandations successives, les exceptions à l’interdiction des visites en établissement ne semblent envisagées que pour les patients en fin de vie. On peut souhaiter ardemment et réclamer énergiquement que – tout en respectant strictement les nécessaires mesures barrières et les bonnes distances (patients, familles, soignants) – l’on puisse élargir le droit de visite, de façon exceptionnelle, encadrée et sécurisée, là encore au cas par cas, dès lors qu’un accompagnement physique semble humainement nécessaire. On comprend bien que des règles strictes aient été établies, mais on commence à constater des conséquences dommageables sur le plan humain pour un grand nombre de personnes âgées ou handicapées en hébergement, et il convient, tout en respectant le confinement en secteur isolé ou en chambre, de permettre des aménagements à ces règles, qui contreviennent – certes pour la bonne cause – aux libertés fondamentales des personnes. Voici le témoignage d’une responsable d’établissement : « Nous n’avons pas attendu des directives particulières sur la possibilité des visites, et pour deux personnes en situation de handicap nous avons organisé une rencontre virtuelle pour l’une et physique pour l’autre, qui présentait une trop grande souffrance, inacceptable dans son état ne lui permettant plus de la verbaliser ni avec des mots ni avec des larmes. Nous avons considéré ce besoin comme vital et pensons qu’il faut préserver avant tout l’humain avec toutes les précautions nécessaires. » La présence d’un proche peut s’avérer indispensable, durant un temps concerté avec les équipes de soins qui ont la capacité de le déterminer et auxquelles il faut faire confiance. Cela nécessite d’avoir les moyens de protection pour tous et doit pouvoir s’appliquer dans toute structure de soins et tout lieu de vie, avec discernement.

L’importance du lien social

Par ailleurs, si l’isolement des résidents diagnostiqués positifs ou supposés cliniquement positifs est de règle actuellement, il convient aussi de rappeler que le confinement n’est pas la contention, mesure encadrée par des recommandations précises de la Haute Autorité de santé afin d’empêcher une personne démente déambulante de se déplacer ou de se mettre en danger, tout en la préservant de l’isolement et de l’enfermement. Le confinement mal compris a même parfois poussé à de fâcheuses décisions, comme celle d’enfermer à clef en chambre des patients atteints par le Covid, afin de protéger les autres résidents. Or la mise en place de mesures de confinement, dans la pratique, devrait faire appel au bon sens et à la créativité des équipes, afin de réaliser dans le meilleur des cas un secteur dédié Covid qui permet, tout en étant sécurisé et surveillé, de laisser aux personnes une certaine liberté d’aller et venir ; dans certains cas où ce secteur dédié semble difficile à réaliser, il faudra isoler les résidents dans leur chambre, mais là encore des initiatives se sont multipliées pour limiter au maximum l’impression d’enfermement, par exemple en utilisant des barrières de porte basses et ajourées. Les pratiques d’interdisciplinarité, usuelles en gérontologie, permettent d’éclairer les décisions à prendre par les avis des différents intervenants, après en avoir parlé avec le patient ; avant toute décision de confinement (différente d’une décision médicale de contention), des échanges sont nécessaires, entre les membres de l’équipe (soignants, psychologue, médecins, responsable administratif) pour une meilleure compréhension de la situation et une bonne adhésion de tous à la solution retenue, sans oublier de l’exprimer au patient et à ses proches. Dans cette période troublée, nous aurons au moins appris collectivement l’importance de préserver le lien social, mis à mal par les mesures de confinement, surtout pour nos aînés et pour les plus vulnérables d’entre nous, qui risquent de payer le prix fort face à cette maladie sournoise qui bouleverse notre présent et doit nous faire réfléchir dès maintenant à l’avenir que nous souhaitons vivre ensemble.

Élisabeth Quignard

Médecin gériatre, réseau gériatrie et soins palliatifs Champagne Ardenne, membre de l’Espace de réflexion éthique du Grand-Est.