Confinement et maltraitance, chacun chez soi, mais toujours à l’écoute de l’Autre !

Assurer une écoute de qualité, une réponse adaptée

Au nom de ses principes éthiques l’association Alma Paris, adhérente à la Fédération 3977 contre la maltraitance a pu assurer en lien avec cette dernière une pérennité de son écoute dès la déclaration du confinement. Il s’agissait tout en protégeant nos bénévoles majoritairement âgés de plus de 70 ans de continuer à assurer écoute, soutien et orientation des appelants qu’ils soient eux-mêmes victimes de maltraitance ou qu’ils en soient les témoins directs ou indirects.

Ici encore, l’inventivité de chacun, loin des procédures établies, a été sollicitée ; de nouvelles modalités de contact ont pu être mises en place grâce au dévouement et à la générosité de tous les salariés de la Fédération, qu’ils soient écoutants de la plateforme nationale ou administratifs et des professionnels salariés et bénévoles d’Alma Paris, tout en maintenant les principes de confidentialité. Il a, bien sûr, fallu un peu de temps pour régler ces nouvelles modalités de fonctionnement, mettre en place les technologies de travail à distance, en informer tout le monde, recueillir les accords des différents écoutants, mettre en place les messages sur les différents répondeurs, réviser certains choix, s’organiser pour travailler autrement. Notre objectif demeurait d’assurer une écoute de qualité, une réponse adaptée aux conditions actuelles de vie dans notre société, tout en préservant les possibilités d’échange téléphonique entre les différents écoutants qui apportent chacun leurs compétences pour l’amélioration de la situation exposée ou sa résolution.

Nous nous proposons de vous relater les plaintes reçues à Alma Paris, relatives à des personnes âgées ou à des personnes majeures en situation de handicap résidant à domicile ou en EHPAD ou étant hospitalisées.

Quels sont les effets du confinement sur les situations de maltraitance à domicile ?

Les effets du confinement sur les appelants sont en partie dus à l’absence de stimulation extérieure, à l’écoute et au ressassement autour du Covid-19 qui passe en boucle dans les médias, à la recentration sur soi-même comme en témoignent les appels des personnes fragiles dont les situations de maltraitance avérées ou ressenties avaient été résolues il y a plusieurs années. L’angoisse de la solitude et le besoin de retrouver un espace de parole est un inducteur primordial pour reprendre « le fil » du 3977.

Ils sont aussi en lien avec l’absence de repère face à une situation inédite pour les moins de 80 ans, mais au rappel d’une « situation de guerre » pour les plus âgés comme martelé dans le discours du président de la République avec évocation de souvenirs plus anciens (les malades Alzheimer ou apparentés sont particulièrement touchés). L’émotion prend le dessus sur le rationnel, il existe alors une perte de réaction de bon sens, une angoisse de souvenirs enfouis, une sorte de paralysie psychique, en tout cas une vraie souffrance.

La durée de présence à domicile plus importante entraîne de la part des voisins un repérage de conflits bruyants dans les appartements d’à côté, fait resurgir une maltraitance ancienne de couple ou de relation parents vieillissants-enfants porteurs d’une addiction ou d’une pathologique mentale, comme si la situation exceptionnelle autorisait un retour impuni à la violence. Les voisins semblent guetter tout ce qui est de l’ordre de « l’anormalité », plainte de bruit fait par les personnes en télétravail, cette proximité de voisinage permanente exacerbant les conflits anciens, les rancunes, les peurs.

Nombre de tiers familiaux qui ne peuvent plus contrôler les situations de leurs proches, car privés de pouvoir se rendre facilement au domicile nous alerte, imaginant leurs parents (« Ne dit-on pas que les vieux sont vulnérables ! ») dans des situations catastrophiques, incapables de se défendre, totalement dépendants.

Par ailleurs, d’anciens appelants porteurs d’une pathologie psychiatrique nous sollicitent, tenant un discours plus ou moins confus : l’exacerbation de leurs troubles face à la solitude, l’incompréhension de la situation ou l’interprétation erronée qu’ils en font, l’aggravation du sentiment de solitude, d’isolement en sont bien souvent responsables.

Pour terminer cette liste non exhaustive, les appelants qui sont dans une situation préoccupante nous sollicitent devant la lenteur des réponses des services contactés. Comment faire intervenir des services sociaux eux-mêmes débordés ?

Situation de maltraitance en EHPAD

On constate depuis plusieurs mois une tendance revendicatrice de certaines familles, peut-être alimentée par les rapports médiatiques sur les maltraitances en EHPAD. En réaction certains EHPAD ont répondu en écartant les visiteurs familiaux ou non, en limitant, voire en interdisant, les visites au prétexte que les personnes étaient harcelantes, injurieuses ou violentes. Cet éloignement imposé alimente à son tour tout un imaginaire sur ce qui peut se passer dans l’EHPAD qui échappe désormais au contrôle visuel. Les contacts téléphoniques ne suffisent plus, la personne âgée concernée qui se veut apaisante ne suffit plus à rassurer l’appelant. Quels sont les risques, qu’est-ce qui a été mis en place ? Le confinement aggrave les situations de non-dialogue et d’incompréhension. L’inquiétude de la famille vient s’ajouter au sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir assurer les visites comme d’habitude.

Les médias, en assurant que les patients âgés ne seraient pas admis en réanimation, ont ajouté une inquiétude supplémentaire en lien avec une non-transparence de la sélection.

Les familles admettent que le personnel de l’EHPAD est surchargé de travail, qu’il ne peut s’occuper aussi bien de leur proche, mais pour autant les critiques de manque de soins persistent.

Les maltraitances réelles ne disparaissent pas, mais elles sont traitées avec toute la diligence nécessaire et conformément aux textes de lois : plainte au commissariat, signalement au procureur, à l’ARS. Les familles sont dans l’attente, l’inquiétude, la perte de confiance.

À ces deux situation, domicile et EHPAD, s’ajoute la problématique des sorties d’hospitalisation : tout le monde sait qu’il est nécessaire de faire de la place à l’hôpital pour les patients porteurs du Covid-19, mais les demandes de passage des soins de suite et de réadaptation vers les EHPAD sont mal vécues par les familles : crainte de maltraitance, de contamination, de manque de soins.

Le retour au domicile pose lui aussi problème : pourra-t-on aller aider son proche, mais en risquant peut-être de le contaminer, n’y aurait-il pas retour à une situation conflictuelle ancienne avec la personne qui cohabite, les services sociaux n’ayant pas le temps de faire une enquête ?

À l’inverse l’hospitalisation pour un acte chirurgical retardée génère une angoisse ciblant la pathologie sous-jacente qui n’est pas traitée, le risque vital est présent, la peur de mourir est prégnante, l’inconnu dû à la désorganisation de ce qui avait été prévu insupportable …

Que faire dans ce contexte ? De l’écoute attentive et bienveillante, une analyse de la situation à plusieurs référents professionnels par mails et téléphone ? Une orientation rapide, dans le respect des lois pour les situations de violence, est mise en œuvre chaque fois que nécessaire.

Mais nous pouvons affirmer que l’écoute, telle que savent la pratiquer nos bénévoles, est déjà une grande source d’apaisement, tout comme savoir que l’on sera rappelé par une voix connue, à une date prévue.

Élisabeth Maillot, Claude Lepresle, Pierre Czernichow

Bénévoles à Alma Paris & Fédération nationale 3977 contre la maltraitance.