Covid-19, juste une crise sanitaire de plus en Afrique ?

Une crise après tant d’autres…

Les pays africains ont accueilli le Covid-19 comme une crise de plus. Nombre d’entre eux viennent à peine de sortir d’une crise électorale, d’une crise sanitaire, d’une crise sécuritaire, d’une crise sociale ou d’une crise politique ou y sont encore. Le virus Ebola, qui a affecté plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, a entraîné la mort de plus de 10 000 personnes ces dernières années ; le paludisme et le sida demeurent les premières causes de mortalité en Afrique avec, respectivement 400 000 et 470 000 morts en 2018 ; sans parler de la tuberculose, de la mortalité infantile et maternelle. Le Covid-19 vient donc s’ajouter à une longue liste de pandémies qui fragilisent les sociétés africaines depuis des décennies. Dans nombre de pays, l’État n’assume pas ses prérogatives régaliennes à commencer par la sécurité de ses populations. L’État reste encore largement synonyme de prédation, ce qui a contribué à creuser le fossé avec les populations. C’est donc vers la famille et la communauté que les populations se tournent pour trouver la protection dont elles ont besoin pour amortir le choc. Certes, les transformations politiques de ces dernières années ont apporté des changements dans certains pays. Au Sénégal, au Burkina, en Côte d’Ivoire, par exemple, on a vu se mettre en place une couverture universelle de santé (CMU), permettant aux plus démunis d’avoir accès gratuitement à quelques soins de base. Pour autant, les filets de protection sociale comme les pensions de vieillesse, de retraite ou d’invalidité restent très peu répandus (moins de 10 % des actifs dans le secteur formel alors que 80 % des travailleurs sont dans le secteur informel). Dans la crise actuelle, on peut donc s’étonner de la réactivité avec laquelle les États ont pris des mesures afin de protéger leurs populations et éviter un scénario catastrophe.

Un consensus dans la réaction

En effet, depuis le 14 février 2020, où l’Égypte a déclaré le premier cas africain de Covid-19, la quasi-totalité des pays (52 sur 54) ont pris des mesures visant à réduire la propagation du virus allant de l’état d’urgence aux simples conseils de prévention sanitaire en passant par la fermeture d’école ou de lieux de culte. Deux pays font exception : le Burundi dont le président estime que la puissance divine protégera le pays, et la Tanzanie. Comme ailleurs dans le monde, les libertés fondamentales des citoyens ont été entravées : liberté de circuler (fermeture des frontières nationales et régionales, etc.), mise en place de couvre-feu ; liberté de se rendre dans un lieu de culte ; liberté d’étudier, etc. En revanche, compte tenu de la précarité d’une large majorité des populations, les autorités n’ont pas été jusqu’à leur interdire de travailler. En effet, empêcher à quiconque de gagner de quoi subvenir à ses besoins quotidiens équivaudrait à le laisser mourir de faim. Dans certains pays, le confinement a donc été limité et s’applique principalement aux populations les plus riches. En République démocratique du Congo, par exemple, seul le quartier chic de la Gombe à Kinshasa a été confiné. C’est en effet dans ce quartier très mondialisé que se sont concentrés les porteurs du virus, essentiellement des personnes voyageant fréquemment entre l’Europe et l’Afrique. Au Nigeria, le pays le plus grand et le plus peuplé d’Afrique de l’Ouest, le confinement a été imposé dans les deux plus grandes villes du pays, Lagos et Abuja. Sous la pression sociale, ces mesures ont été levées dans beaucoup de pays. Des mesures économiques incitatives ont été mises en place comme la gratuité de l’électricité au Sénégal et au Mali, la distribution de denrées alimentaires mais ces mesures ne permettront pas de faire face à tous les besoins. Les diasporas, généralement déjà très sollicitées par leurs familles restées au pays, devront une nouvelle fois répondre aux demandes alors qu’elles-mêmes déjà touchées par les mesures de confinement sur un autre continent, vivent des situations difficiles.

Menace sur les droits humains

Cette nouvelle crise sanitaire est aussi révélatrice du niveau de violence qui s’exprime comme un mode de gouvernance de la part de certains États. Les défenseurs des droits humains commencent d’ailleurs à tirer la sonnette d’alarme face au constat de violence accrue des forces de sécurité vis-à-vis des populations. Au Nigeria, la Commission nationale des droits de l’homme a enregistré ces dernières semaines cent cinq actes de violations des droits de l’homme perpétrés par les forces de l’ordre et dix-huit personnes tuées dans des exécutions extrajudiciaires. Au Niger, des activistes, lanceurs d’alerte considérés comme oiseaux de mauvais augure, ont été arrêtés pour avoir alerté les médias et la population sur les dangers du Covid-19 bien avant les mesures prises par les autorités. Au Kenya, la police mène une répression féroce à l’égard des populations qui ne respectent pas les mesures de couvre-feu au sein du plus grand bidonville d’Afrique, Kibera à Nairobi. Généralement considérés incapables de protéger leurs populations face aux menaces (économiques, sécuritaires, sociales, sanitaires), les États africains ont cette fois-ci assumé leurs responsabilités au moins dans les discours. Sous la pression de la communauté scientifique médicale africaine très connectée à la communauté scientifique internationale, ils ont pris des mesures d’urgence, mais cela s’est souvent limité à la mise à disposition d’eau et de savon ! Les États n’ont néanmoins pas été en mesure d’organiser des confinements adéquats ou de tester systématiquement leurs populations. En ayant d’autres choix que de laisser les populations continuer à prendre des transports en commun surpeuplés ou à aller au marché, lieux assurément propices à la propagation d’un virus, les États ont montré la limite de leur pouvoir de protection. Pour s’assurer que leurs messages sont bien passés, certains pays comme le Sénégal ont eu recours aux autorités religieuses. La réaction plutôt consentante des populations n’est donc pas le signe d’un regain de confiance envers l’État mais plutôt d’une certaine lucidité, de ces populations aujourd’hui mondialisées, qui ont suivi le développement de la crise de ses débuts en Chine à sa propagation en Europe. Cette situation est aussi le résultat de l’absence d’anticipation de tels risques, pourtant si fréquents en Afrique, mais aussi de l’absence d’investissement dans les secteurs de la santé, de la prévention des crises sanitaires qui conduisent les États à uniquement réagir face à une crise alors qu’ils n’ont pas les moyens de cette réaction. Certaines voix s’élèvent déjà pour faire remarquer qu’il y a bien longtemps que ces États ont failli à leur responsabilité de protection en laissant pendant des décennies des systèmes de santé se dégrader, préférant investir dans des palais des congrès très coûteux plutôt que dans des infrastructures sanitaires dignes de ce nom, pour répondre à des besoins toujours plus importants compte tenu du doublement de la population tous les vingt ans. Pour l’heure, les populations jouent le jeu car elles ont bien conscience que les systèmes sanitaires à bout de souffle n’ont pas la capacité à faire face.

Un repli sur soi

Les Nations unies et les ONG internationales très présentes dans le domaine de la santé en Afrique ont également dû réduire ou stopper certaines activités sur le terrain, laissant les organisations de la société civile locales prendre le relais, seules. En effet, dans certains pays, en Centrafrique par exemple, l’importation des premiers cas de Covid-19 par un Européen, a conduit à la stigmatisation des étrangers. D’autant que le faible niveau d’éducation d’une grande majorité des populations favorise la propagation des rumeurs en temps de crise. Dans ces conditions, et compte tenu des conditions sécuritaires et sanitaires déjà très dégradées, les personnels étrangers sont sur leur garde voire ne peuvent plus intervenir sur le terrain. Quant aux OSC locales, elles n’ont souvent que des moyens très limités pour apporter une réponse adéquate aux millions de réfugiés et déplacés que compte l’Afrique avec un risque plus important pour ces populations de mourir de faim que du Covid-19, comme le rapportait la presse ces dernières semaines. L’Afrique comme d’autres continents s’est actuellement repliée sur elle-même le temps de la crise du Covid-19. De nombreux pays ont fermé leurs frontières terrestres, aériennes et maritimes. Cette situation est tout à fait intenable à moyen terme pour la plupart des pays qui restent très dépendants des échanges économiques régionaux et internationaux, et où la migration permanente des populations permet d’amortir certains effets multiformes des crises. À l’échelle du continent, cela pourrait être l’occasion pour les États africains de mener une réflexion sur cette dépendance, qui ne leur est pas favorable. L’Afrique dispose en effet de ressources naturelles très convoitées mais aussi d’un atout majeur, la jeunesse de sa population (environ 60 % de la population a moins de 18 ans). Si la crise s’aggrave et se prolonge, cette génération risque d’être fortement impactée. La fermeture des écoles et des universités, la perte d’emploi, la baisse du niveau de vie et la privation des libertés fondamentales ne devraient pas être sans conséquence sur l’état d’esprit de cette jeunesse au sortir de la crise, qui pourra soit être un ressort important en termes de résilience ou bien source de nouvelles tensions.

Gwénola Possémé-Rageau

Analyste politique