Intégrité de la recherche (2) Quelle communication en temps de crise ?

Avec la pandémie due au virus SARS-CoV-2, nous observons le foisonnement de la recherche. C’est une réponse normale à l’urgence et un signe de vitalité des réseaux de chercheurs. Cette période intense s’accompagne d’une impatience de la société qui voudrait des réponses immédiates. La compétition entre chercheurs a deux conséquences : une accélération bienvenue de la recherche et des arrangements avec les données pour être le premier à communiquer ! Les principes de la déclaration de Singapour sur l’intégrité de la recherche concernent l’honnêteté dans tous les aspects de la recherche pour une conduite responsable de la recherche. Parmi les quatorze responsabilités de cette déclaration, certaines sont centrées sur la communication des recherches.

Communication des travaux

Les chercheurs doivent communiquer rapidement et ouvertement leurs résultats. Cette responsabilité est décrite depuis longtemps dans l’article 36 de la déclaration d’Helsinki : « Les chercheurs, auteurs, promoteurs, rédacteurs et éditeurs ont tous des obligations éthiques concernant la publication et la dissémination des résultats de la recherche. Les chercheurs ont le devoir de mettre à la disposition du public les résultats de leurs recherches impliquant des êtres humains. Toutes les parties ont la responsabilité de fournir des rapports complets et précis. »

Critères de la qualité d’auteur et remerciements

La définition de la paternité d’une œuvre en science est simple : tout auteur doit avoir contribué à la recherche, à la rédaction de l’article et approuver la version du manuscrit à publier. En pratique, ces critères sont peu respectés. Des conflits entre auteurs, des auteurs dits de courtoisie (n’ayant pas contribué au travail), des auteurs oubliés sont fréquents. Ils concernent plus de la moitié des articles. Dans cette pandémie, nous observons des articles avec plus d’auteurs que de malades dans le manuscrit ! Des chercheurs signent plus de cent articles par an, en général avec la complicité des revues. Les auteurs devraient avoir pleine confiance en l’intégrité des contributions respectives de leurs coauteurs, mais parfois ils ne se connaissent pas tous ! Les auteurs doivent faire figurer dans les articles les noms et rôles des personnes ayant contribué à la recherche : aides techniques, aides à la rédaction, financements. Des auteurs pensent à remercier les malades qui ont accepté de participer à la recherche.

Évaluation par les pairs

Les revues scientifiques demandent normalement l’avis de chercheurs relecteurs externes pour évaluer les manuscrits soumis. Ces avis aident les comités de rédaction pour prendre une décision d’acceptation ou de refus des manuscrits soumis. C’est important pour évaluer la qualité d’une recherche. Cette évaluation n’est pas toujours bien faite, pour aller vite ou par complaisance avec des auteurs proches des comités de rédaction. Des manuscrits sur la Covid-19 ont été acceptés par des revues en moins de 48 heures. Ce court délai permet d’imaginer que l’évaluation n’a pas été rigoureuse ; les auteurs n’ont pas eu le temps d’apporter des modifications pour répondre aux avis des relecteurs. L’attente de la société est grande et la publication des données sur les traitements antiviraux a été prématurée : si certains articles avaient été correctement évalués par les comités de rédaction, ils n’auraient pas été publiés. Des chercheurs soumettent, par facilité, leurs articles à des revues contrôlées par des amis.

Relations et activités

Les chercheurs doivent déclarer toutes les relations et activités qui peuvent entacher la confiance dans leurs projets de recherche, leurs publications et évaluations. C’est au lecteur de juger s’il existe un conflit d’intérêts, c’est-à-dire une situation où le chercheur est engagé dans une prise de décision où son objectivité, sa neutralité peuvent être remises en cause. Dans cette pandémie, nous avons observé des chercheurs déclarant correctement leurs relations et activités, mais des omissions ont été observées. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas que des relations financières. Des chercheurs membres non rémunérés d’institutions, ayant des relations familiales voire des relations de travail, n’ont pas suffisamment déclarés ces situations, ce qui nuit au débat entre chercheurs et au débat public.

Communication vers le public

C’est une responsabilité importante souvent négligée : « Les chercheurs doivent limiter leurs commentaires à leur domaine de compétences lorsqu’ils sont impliqués dans des débats publics […] et distinguer clairement ce qui relève de leur expérience professionnelle et ce qui relève de leurs opinions personnelles. » Dans les débats publics, nous avons constaté que des pseudo-experts avaient des avis parfois tranchés sur des domaines qu’ils ne maîtrisent pas. Voir des experts qualifier le SARS-CoV-2 de virus à ADN, alors qu’il s’agit de virus à ARN, est une erreur inadmissible, mais le public ne la remarque pas. C’est un indicateur qui montre que l’expert est sorti de son domaine de compétences. Une autre erreur est de confondre croyances et connaissances. Compte tenu de l’apparition du SARS-CoV-2 fin 2019, nous avons déjà beaucoup de connaissances, mais elles sont très insuffisantes pour répondre aux questions de la société. Des pseudo-experts ont des certitudes et aucun esprit critique. Cela nuit beaucoup pour avoir un débat apaisé sur des problématiques importantes.

Journaux grand public, archives ouvertes et réseaux sociaux

Un changement caractérise cette pandémie : la communication de données scientifiques sans attendre une évaluation par les pairs. L’impression est que l’évaluation est faite autant par le public que par les agences de l’État. Peu de voix se sont élevées contre le sondage IFOP publié dans Le Parisien (5 avril 2020) avec le titre « Covid-19 : 59% des Français croient à l’efficacité de la chloroquine ». Notre démocratie a délégué l’évaluation des médicaments à une Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé qui a autorité. L’Agence ne peut pas autoriser une indication d’un médicament sans disposer de données de recherche respectant les régulations et principes d’intégrité de la recherche. Ce sondage est une conduite peu responsable qui retarde la conduite d’une recherche de qualité, d’autant plus qu’une pétition en faveur d’une utilisation de la chloroquine a été portée par des médecins.
Les archives ouvertes sont un progrès en science sous réserve d’en comprendre l’utilité. Il s’agit pour un auteur de déposer son manuscrit sur une plateforme, comme medRxiv en médecine, pour porter à la connaissance de ses pairs des données qui n’ont pas été évaluées. Ces archives ont un avertissement qui semble ignoré : « Les rapports préliminaires de travaux n’ont pas été certifiés par une évaluation par les pairs. Ils ne doivent pas servir à orienter la pratique clinique ou les comportements liés à la santé et ne doivent pas être présentés dans les médias comme des informations établies. » Ces manuscrits ne devraient pas être discutés en public ou discutés avec des précautions de langage spécifiant toujours que ces résultats ne sont pas validés. La pandémie nous a montré une confusion fréquente entre manuscrit non validé par des pairs et publication dans une revue scientifique. Les réseaux sociaux (twitter, Facebook), des sites d’institutions, voire dropbox, ont hébergé des informations scientifiques diffusées largement sans avoir été évaluées par la communauté scientifique. Intégrité et fake news ne font pas bon ménage !
Le 7 avril 2020, le comité d’éthique et la mission à l’intégrité scientifique du CNRS ont rappelé les principes inhérents à la recherche scientifique et biomédicale dans ces temps de crise sanitaire : « Dans sa communication avec le grand public, la recherche biomédicale doit répondre aux questionnements légitimes de la population, tout en évitant les effets d’annonce et en demeurant sobre, prudente, didactique et précise. Enfin, dans sa quête inconditionnelle de vérité, la recherche scientifique doit fonder sa démarche sur des principes d’intégrité scientifique qui paraissent, parfois, difficilement compatibles avec l’urgence. Pour autant, cette situation n’autorise pas que l’on s’affranchisse d’aucun de ces principes. »

L’auteur s’engage à fournir des éléments de preuve pour étayer les informations de cet article.

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique et rédacteur scientifique