"Comme médecin, j’ai donc un regret : celui de ne pas avoir suffisamment résisté, de ne pas avoir suffisamment désobéi…"

Edito par Matthieu le Dorze

Médecin anesthésiste-réanimateur, doctorant en éthique

Je suis médecin en réanimation. 

Depuis un an, comme nous tous, la Covid a bouleversé ma vie. Elle a même doublement bouleversé ma vie : ma vie de soignant et aussi ma vie de citoyen. Je suis médecin, mais je suis aussi un conjoint, un fils, un père, un frère, un ami etc. ! J’ai ressenti les mêmes peurs et les mêmes lassitudes que chacun d’entre nous.

Depuis un an, à l’hôpital, je suis plongé dans un quotidien de crise. Je vis la tension liée à l’afflux de patients graves, le stress lié aux réorganisations permanentes. Collectivement, nous, les soignants, avons relevé de nombreux défis. Nous avons été réactifs, créatifs. Nous avons donné le meilleur de nous-même dans l’urgence. Et nous pouvons être fiers !

Aujourd’hui, avec le recul, j’ai un regret et une crainte liés aux restrictions des visites des proches en réanimation. En mars, nous étions sidérés et nous ne connaissions pas cette maladie contagieuse. Les restrictions des visites paraissaient justifiées. Mais avec le temps, nous avons appris à nous protéger mutuellement les uns les autres. Et pourtant, nous avons maintenu et maintenons encore des restrictions fortes et incompréhensibles.

J’ai donc un regret : celui de ne pas avoir suffisamment résisté, de ne pas avoir suffisamment désobéi. Et j’ai une crainte : celle de voir ces restrictions se pérenniser trop longtemps encore. Et j’en ressens une certaine souffrance éthique. Pour autant, je ne me condamne pas, je ne nous condamne pas. Depuis un an, nous sommes chaque jour présents pour prendre soin de l’autre malgré les contraintes et les peurs. Et nos familles ont elles-mêmes beaucoup été privés de nous.

Aujourd’hui, nous, soignants, devons exercer pleinement notre responsabilité : nous devons garantir aux proches leur place légitime dans le soin et dans l’accompagnement de leur être cher pendant tout son parcours en réanimation et pas seulement à la fin de sa vie. Quelque soient les circonstances. Dans cette épreuve morale et émotionnelle, retrouvons toute notre identité soignante ! Et demain, fort de cette expérience, résistons pour défendre cette valeur du soin : la relation !