« Je ne peux pas me résigner à ces insultes aux valeurs de civilisation »

Edito par Stéphanie Draber dite Bataille

Une démarche de mobilisation en mémoire aux victimes négligées et méprisées

L’histoire de mon père est l’histoire de dizaines de milliers de femmes et d’hommes. Et aujourd’hui, dans nombre d’établissement ce scandale continue…

J’ai rencontré Emmanuel Hirsch avec lequel nous avons décidé de créer un Observatoire national des pratiques « pandémie, dignité, respect et droit des personnes », avec des familles, des professionnels de santé et du médico-social, et d’autres membres de la cité engagés avec nous.

Le 17 mars 2021, date où sera évoqué le début du 1er confinement, nous lançons publiquement une démarche de mobilisation en mémoire aux victimes négligées et méprisées du Covid-19. Pour affirmer aussi nos valeurs, ce qui en démocratie nous est essentiel.

Ces histoires de vie bafouées par des décisions indignes sont bouleversantes. J’ai demandé à des personnes de la culture de s’associer à mon combat,  à notre combat afin que les témoignages que nous réunissons soient reconnus dans leur portée universelle.

Je ne peux pas me résigner à ces insultes aux vertus et valeurs de civilisation : perte du respect, de la dignité, indifférence à l’autre en situation de vulnérabilité, renoncements arbitraires aux principes anthropologiques comme aux rites funéraires.

Notre conscience humaine s’est exprimée lorsque nous avons compris la signification de respecter et d’enterrer nos défunts.

Un an d’adieux volés, de visites interdites, d’abandon des rites funéraires

Un an de pandémie. Plus de 90 000 morts. Plus d’un million de victimes collatérales.

Le bilan humain et psychologique est incommensurable.

Il est temps de prendre conscience que cela fait un an d’adieux volés, de visites interdites,  d’abandon des rites funéraires.

Le coronavirus éclaire sur les  manquements, pousse à la banalisation du mal.

Il n’est pas possible de clamer qu’ils voulaient sauver les plus faibles, alors que c’est le contraire qui s’est passé.

Nos ainés n’ont jamais été traités de la sorte : parqués en EPHAD, visites interdites. Séquestrés à l’hôpital, avec comme ultime droit, celui de les apercevoir au dernier moment !

Ces pratiques iniques et liberticides sont inhumaines.

J’ai assisté à la montée à l’échafaud de mon père en janvier dernier. J’étais obligée de prendre la parole et de dénoncer ce qui se passe en coulisse. J’ai vu l’impensable.

Mon père, Etienne Draber, est entré dans le plus grand hôpital de Paris le 13 décembre 2020, pour la pose d’un clip sur la valve mitrale. À son entrée il est testé négatif au Covid-19. Le 14 décembre l’opération s’est très bien passée. À partir du 18 décembre il a montré des symptômes du Covid-19. Il ne sera testé que le 24 décembre 2020, le 26 décembre 2020 on nous annonce qu’il est positif.

J’ai vu l’impensable

C’est le 30 décembre 2020 qu’il est transféré en « unité Covid ». Interdiction de le voir. Des médecins nous assènent que nous pourrons le voir « au dernier moment ». Nous avons tout tenté pour être près de lui, sans y parvenir. Mon père  nous réclamait ;  il s’est senti abandonné.

Le 8 janvier 2021 il est transféré dans une unité de cardiologie.

Le 10 janvier 2021, l’hôpital me contacte pour me faire comprendre que c’était le dernier moment. Je l’ai trouvé dans sa chambre, nu, les mains attachées. Il m’a reconnu, il était en état de choc, et moi aussi.

Il s’est éteint le lendemain matin à 10h45.

Il n’a pas pu recevoir les derniers sacrements. Il a été placé nu, sans toilette funéraire, dans une housse en plastique. Interdiction de faire l’Adieu au visage.