Pour qui sonne le glas en Ehpad ? Il sonne pour nos mères, nos pères, nos conjoints. Non seulement la promesse gouvernementale de “protéger sans isoler” n’est pas tenue, mais elle est inversée ; ils sont isolés sans être protégés. Isolés car vingt minutes de « parloir » tous les quinze jours derrière un plexiglass dans un espace commun surveillé, ce ne sont pas des conditions dignes ni une fréquence acceptable de visites, surtout pour des personnes souvent malentendantes, malvoyantes ou présentant des troubles cognitifs assez largement précipités par défaut de stimulation affective et intellectuelle depuis un an maintenant. Et ils ne sont pas pour autant protégés car le virus continue à entrer, et s’y ajoute le virus -non moins mortel- de l’enfermement et du sentiment d’abandon : le glissement.
Les résidents sont infantilisés – au sens étymologique d’infans, celui qui n’a pas la parole -. Ils n’ont pas réellement voix au chapitre, y compris au sein des Conseils de Vie Sociale (CVS). Les familles non plus, qui sont depuis un an, désespérées, épuisées. La signature du Cercle des Proches Aidants en Ehpad (CPAE) est : « le lien c’est la Vie », car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et le rompre, c’est la mort. On se pose parfois la question de la vie après la mort. Aujourd’hui en Ehpad, on peut se demander s’il y a une vie AVANT la mort. Pour les résidents, elle est réduite à peau de chagrin depuis 365 jours.
Les directions sont largement gouvernées par la peur -de la contamination, mais aussi pour leur réputation- et gouvernent par la peur. Les familles se sentent « captives », voire redoutent des représailles sur leur parent. Le principe de précaution est poussé à l’extrême, jusqu’à l’absurde. Les directions ont adopté pour la plupart une vision hygiéniste de la santé ; les résidents sont devenus des seuls objets de soins. Combien de fois avons-nous entendu le tristement classique : « Si c’est le bien-être de votre parent qui prime, plutôt que la sécurité sanitaire, reprenez-le » ? C’est inacceptable et cruel.
Nombre de directions ont d’ores et déjà prévenu que la vaccination ne changerait rien aux régimes de visites et sorties, tant que l’immunité ne serait pas atteinte en population générale. Or si le taux d’adhésion des résidents est de 80%, moins de 20% des personnels soignants en Ehpad souhaitent se faire vacciner, ce qui pose question pour des professionnels au contact de personnes vulnérables. Ni le gouvernement, ni les Agences Régionales de Santé (ARS) ne sont en reste, qui émettent des recommandations de plus en plus coercitives et difficilement tenables. Dès le 20 mai 2020, le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) avait pourtant alerté sur « une interprétation trop rigoureuse et excessive du cadre réglementaire et du principe de précaution qui a pu engendrer des situations qui relèvent de la qualification de maltraitance ».
Dans ce huis clos, l’enfer ce n’est pas les autres, c’est l’absence des siens. Et cet enfer est pavé de bonnes intentions, en l’occurrence le principe de précaution, illusoire tant il est vrai que n’existe pas de risque zéro. Il y aura toujours un variant, un intervenant imprudent.
Jusqu’à quand allons-nous laisser nos parents enfermés ? On sait qu’un nourrisson privé d’affection et d’interactions peut se laisser mourir. Le syndrome de glissement n’est autre que cela. Mais on n’en dénombre pas les victimes. Le personnel porte évidemment toute son attention aux résidents, mais cela ne saurait remplacer celle d’un conjoint ou un enfant.
Il ne s’agit pas de se livrer à un ehpad-bashing, injuste pour les équipes en sous-effectif chronique qui œuvrent avec compétence et humanité et qui, également victimes de la maltraitance institutionnelle, sont parfois passées de l’inconfort à la souffrance éthique. C’est une vraie perte de sens pour leur mission. Perte de sens pour les professionnels, perte du sens et du goût de la vie pour les personnes âgées.
Sabrina Deliry, Conformité Bancaire
Philippe Prince-Demartini, Président de l’Association Nationale des Familles de Victimes du Covid en Ehpad (FAVICOVID)
Annette Debeda, Rédactrice
Valérie Guittienne, Conseillère Municipale Déléguée au Handicap
Florence Paraclet*, Enseignante (*pseudonyme)
Olivier Rigaud, Ex-adjoint Maire Paris 15
Jean-Claude Pozzo di Borgo, Directeur Honoraire des Hôpitaux
Laurent Garcia, Cadre de Santé à l’EHPAD des 4 Saisons – Bagnolet
Jérôme Marty, Médecin et Président de l’UFMLS
Elie Semoun, Comédien et Humoriste
Stéphanie Bataille, Comédienne et Directrice de Théâtre
Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale – Université Paris-Saclay
Christophe Léguevaques, Avocat
Cynthia Fleury, Professeur titulaire de la Chaire Humanités et Santé (CNAM)
Henri Leclerc, Avocat et Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme
Alexandre Jardin, Écrivain
Annie De Vivie, Fondatrice de ÂgeVillage.com, Auteur de ‘J’aide mon parent à vieillir debout’ chez Chronique Sociale
Rosette Marescotti et Yves Gineste, Co-auteurs de l’Humanitude
Philippe Crône, Auteur de ‘Animer en Humanitude’ chez Elsevier Masson
Laure Adler, Journaliste et Ecrivaine
Roland Cayrol, Politologue
Sabine Delaunoy, Avocate
Éric Maeker, Gériatre, Psychogériatre hospitalier
Philippe Tcheng, Medecin référent Covidom
Nicole Bétrencourt, Psychologue clinicienne
Dominique Marcilhacy, Magistrat
Laurent Maréchaux, Ecrivain
Laurent Beccaria, Directeur des Éditions les Arènes
Danièle Hervieux-Léger, Directrice d’études à l’EHESS (Honoraire)
Bertrand Hervieu, Inspecteur Général de l’Agriculture (Honoraire)
Christophe Deltombe, Avocat et ancien Président d’ONG
Jacques Weber, Acteur, Réalisateur et Scénariste
François Berléand, Acteur
Anne Bouvier, Comédienne et Metteuse en scène
Andréa Bescond, Comédienne, Auteure et Réalisatrice
Éric Métayer, Comedien et Metteur en scène
Véronique Genest, Comédienne
Franck Ferrand, Ecrivain et Journaliste français
Jean-Claude Delarue, Président de la FUTSP (SOS Usagers)
Bernard Sauviat et Valérie Guras, Collectif G.A.S.P.E. Riviera
Bernadette Ojardias et Annie Rousseau, Collectif Ehpad Familles 42
Florence Beaugé, Journaliste