Et les autres ? Pour le maintien de la démarche palliative

S’adapter afin d’assurer au mieux la continuité de la prise en charge en soins palliatifs

Même si elle est inégalement répartie sur le territoire français, l’épidémie de Covid-19 nous a tous contraints à un réaménagement rapide de nos modes de vie et de relations et à une réorganisation du système de santé. Dans les hôpitaux, des « circuits Covid », des « unités Covid », des « unités tampons » ont été mis en place. Le plan blanc a été déclenché. Cela signifie non seulement une réorientation des moyens vers les services nécessaires : réanimation, services d’urgence, services d’infectieux, unités Covid, virologie… mais aussi la suspension ou la modification de nombre d’activités. Parmi les professionnels de soins palliatifs, beaucoup sont partis aider d’autres services. Les conséquences pour les patients souffrant d’une grave maladie peuvent être importantes. Leur accès aux soins a diminué. Par crainte d’être contaminés ou par respect excessif du confinement, ils se déplacent moins aux urgences ou chez leur médecin traitant. Les cabinets de kinésithérapie sont fermés. Les établissements de santé ont également diminué leur offre : fermeture de certaines consultations, consultations par téléphone ou visio, suspension des prises en charge ambulatoires, report des interventions chirurgicales non urgentes (comment définir ce qui est urgent ?), réaffectation des personnels, restrictions des soins de support au minimum. Combien de patients ne reçoivent pas ainsi les soins nécessaires ? Les équipes de soins palliatifs ont dû adapter leur organisation afin d’assurer au mieux la continuité de la prise en charge en soins palliatifs à la fois pour les patients infectés par le Covid-19 mais aussi pour tous les autres patients. Il s’agissait également de libérer le maximum de lits dans les services de soins mobilisés directement ou indirectement par l’épidémie et d’éviter la transmission du virus pour les patients, les familles et les soignants. Ces modifications légitimes dans le contexte actuel ont cependant des conséquences pour les patients en soins palliatifs et plus largement pour la démarche palliative. Des lits d’USP sont fermés ou déplacés dans d’autres services, les professionnels des USP et des EMSP vont aider dans d’autres secteurs, certains professionnels comme les kinésithérapeutes, psychologues, assistantes sociales ont moins facilement accès aux patients (télétravail, confinement…), les activités autres que celles des professionnels de santé sont suspendues (art-thérapeutes, socio-esthéticiennes, bénévoles, sophrologues…), les accès aux ministres des cultes sont interdits ou limités ; et bien sûr les visites des familles sont également interdites ou limitées selon les établissements. Les prises en charge avant hospitalisation sont elles aussi affectées : diminution des consultations, fermeture des hôpitaux de jour, suspension parfois des hospitalisations de répit, professionnels des réseaux ne se déplaçant plus à domicile… Dans ce contexte, l’accompagnement pâtit forcément. La fatigue voire la maladie ou la lassitude des professionnels devant ces conditions dégradées, l’incertitude sur l’avenir, les difficultés actuelles de l’interdisciplinarité effective sont autant d’éléments affectant l’accompagnement et la proposition de soins palliatifs pour les patients, qu’ils soient infectés par le Covid-19 ou non.

Continuer à penser

Il convient de rester attentifs aux patients gravement malades ou incurables, atteints de Covid-19 ou non, à leurs familles, dans une démarche palliative. Les conditions difficiles d’exercice ne doivent pas nous faire oublier notre impératif d’humanité ni la philosophie des soins palliatifs : prise en charge globale, adaptation des soins, écoute, anticipation, réflexion éthique, collégialité. La lutte contre l’épidémie ne peut pas justifier longtemps une diminution de qualité de l’accompagnement des patients graves ou en fin de vie. Les contacts avec la famille via Internet, les téléconsultations, s’ils sont une aide, ne doivent pas rester la règle. Le « visage » nous interpelle différemment à travers un écran. Les besoins des personnes en fin de vie, besoins relationnels et spirituels, soulagement des symptômes, que ce soit à domicile ou en institution, doivent être considérés. La vie doit rester la vie jusqu’au bout et l’abandon actuel des patients atteints de maladies graves et incurables inquiète. On en arrive à oublier l’autre, qui n’est vu qu’à travers le danger de transmission qu’il représente. Maximiser les mesures sanitaires est indispensable mais ne nous exonère pas d’une réflexion commune et évolutive sur les adaptations nécessaires. Des parcours sécurisés peuvent rapidement être remis en place pour offrir les soins nécessaires et simplement honorer notre devoir d’hospitalité. Le risque d’appliquer les règlements sans répondre à la singularité des personnes, de voir ces dernières effacées derrière les chiffres et les algorithmes est une tendance caractéristique de notre époque. C’est pourquoi il est indispensable de continuer à penser, à discerner le meilleur pour chaque patient et ses proches dans des « institutions justes ». Cela demande de l’énergie et du temps mais c’est une des conditions pour honorer notre humanité commune.

Clémence Joly

Médecin, unité de soins palliatifs, hôpital de Pont-Audemer.