La confiance, chaîne et trame des liens humains

On oublie peut-être que ceux qui ont aujourd’hui l’âge d’occuper les maisons de retraite, ceux que l’on définit trop souvent comme vulnérables et dépendants, avaient appris à ne rien montrer de leurs faiblesses et de leurs sentiments.

Ils ont été « élevés  à la dure » comme le disent encore certains ; Les hommes ne devaient pas pleurer, les femmes serraient les dents et faisaient face sans pouvoir s’épancher, car dévoiler ses failles exposait à tous les vents de l’humiliation.

Sales temps pour les plus démunis où, pour que le monde se tienne en ordre, il fallait bien que les victimes y soient pour quelque chose dans le malheur qui les frappait.

 

Le courage, c’était supporter les douleurs sans se plaindre et porter les tragédies en faisant front, c’était affronter les tempêtes, supporter ses propres épreuves et les contraintes des autres.

Pourtant, ce sont eux qui ont mis en œuvre ce dont profitent aujourd’hui les générations nouvelles : les aides sociales, les soutiens de toutes sortes, les accompagnements, les soins portés aux malades, les formes plus compatissantes de tolérance et de bienveillance.

Paradoxalement, ils ont créé les conditions de leur propre mise à distance de la vie qui s’agite et, oubliant ce qu’on leur doit, on les réduit trop souvent à des corps sans âme qu’il faut entretenir ; une vie qui n’en n’est plus une aux yeux de beaucoup.

 

Ils ont eu confiance en l’avenir et se retrouvent si mal considérés par ceux-là mêmes qui leur doivent une existence bien plus légère et insouciante que la leur.

Osent-ils encore dire qu’ils aiment la vie, eux qui ont fini par intégrer l’idée d’être une « charge » pour leurs proches ?

Se rendre digne de leur confiance, c’est venir auprès d’eux comme la mémoire vivante de nos propres histoires et reprendre le flambeau de la transmission qui nous situe dans le temps et l’espace où nombreux se sont perdus.

 

Peuvent-ils avoir foi en nous qui, au prétexte du temps occupé si peu à l’essentiel, les laissons à leurs chagrins et à leurs solitudes ?

La confiance demande à qui veut ouvrir l’espace de la rencontre de se défaire du superflu pour n’être que soi. Et là, se déroulent des vies si surprenantes, que les romans peinent à en dépasser l’intérêt.

 

Le lien sans faille établi dans la vérité, il apparaît derrière ces visages, des merveilles qui rendent confiants en la vie.

Car c’est aussi de leur expérience lors de la traversée des épreuves que l’on peut puiser la force de ne pas abandonner sa volonté de vivre par « gros temps ».

Les angoisses, les séparations, les chagrins d’amour, les injustices, ils ont tout vécu et ils sont toujours là. Et la confiance que nous leur accordons nous permet à notre tour de ne pas désespérer.

Eux seuls, qui ont accompli leur destin, peuvent dire à qui ne voit qu’ombre et noirceur : « Je suis passé par là et j’ai trouvé le chemin de la lumière ». 

 

C’est aussi en se laissant guider en confiance que la vie s’éprouve et que s’ouvrent les yeux du cœur.

S’abandonner à la tendresse et à l’expérience des ascendants au lieu que de les abandonner, serait retisser les liens d’une humanité toujours à se chercher.

La dignité ne se perd pas dans les chairs fatiguées ou les craintes de l’inconnu, elle se réveille lorsque la confiance des uns fait écho à la reconnaissance des autres.

Eugénie Poret

Anthropologue