Laissez les familles accompagner leurs mourants !

Inhumanité ultime, le médecin aura négligemment coché la case « mise en bière immédiate »

De longues heures d’isolement absolu. Des nuits de désespoir avec la solitude comme seule compagne. L’angoisse de la fin vécue sans oreille attentive ni geste consolateur. Voici quels auront été les derniers jours de mon père, 70 ans et en pleine santé, mais triplement condamné : par une prise en charge tardive, faute de lit de réanimation disponible ; par une infection contractée dans le service de réanimation qui devait le soigner ; par un règlement arbitraire l’ayant privé de la présence de ses proches lors des derniers jours de son existence.



Des tentatives désespérées pour apercevoir notre père, ne serait-ce que derrière une vitre. Des heures de patience vaine devant les portes désespérément closes du service. Des journées suspendues à notre téléphone, à guetter un appel qui n’arrivera que trop tard, pour annoncer que c’est fini. Voilà comment nous, sa famille, aurons vécu les deux dernières semaines de notre père ou époux.



Peu importe que mon père, désintubé et réveillé, ait été testé deux fois négatif au Covid ! Peu importe que nos demandes de visites aient été accompagnées de nos tests, également négatifs ! Peu importe que nous ayons prévu de venir l’entourer avec toutes les précautions nécessaires ! La règle doit s’appliquer, implacable et froide. Et quel choc que de s’entendre dire que les équipes ont « mieux à faire » que de tenir les proches informés, alors même que l’état de mon père se dégradait.



Il était donc seul quand il s’est réveillé du coma artificiel. Et toujours seul quand il est mort, une semaine plus tard. Inhumanité ultime, le médecin aura négligemment coché la case « mise en bière immédiate », nous privant du dernier hommage qui fait l’essence même de la civilisation.





Quel recul de civilisation !

Après de longues et déplorables négociations, et une indispensable pression extérieure, l’adieu de ma mère à son mari se fera en quelques minutes accordées avec dédain, dans la froideur d’une morgue en sous-sol. Pour s’assurer qu’elle ne s’approche pas trop, elle sera entourée de deux cerbères, son fils ayant été retenu de force à la porte. Peut-on faire plus sordide ?

Quel recul de civilisation ! Quelle société peut considérer le sens de la vie avec si peu de dignité ? Quel gouvernement peut se targuer de « sauver des vies » en maintenant un pays sous cloche, tout en méprisant à ce point-là la valeur de l’existence ?



Ce sinistre témoignage n’est hélas pas isolé. Il n’a pas été vécu seulement dans une clinique d’Aix-en-Provence, appartenant à un grand groupe privé. Il rejoint le cri silencieux de milliers de familles à travers la France qui subissent, sidérées, cette injustice profonde. Plus de 30.000 personnes se sont déjà jointes à la pétition initiée par Stéphanie Bataille pour retrouver un peu d’humanité en ces temps où les repères se brouillent.



Cette situation indigne est le fruit de la conjonction de deux maux qui frappent notre époque. D’une part, l’irresponsabilité des technocrates et politiques édictant des réglementations absurdes et inhumaines. D’autre part, la vision technicienne et matérialiste de l’homme qui empêche d’en voir les besoins fondamentaux. Couplée à la financiarisation de la santé, elle transforme les gestionnaires d’établissements en sinistres comptables qui ne voient que profits et rentabilité, et non soins et humanité. La clinique aura beau jeu de se cacher derrière les instructions officielles, celles-ci sont très claires : les visites sont par principe autorisées mais dépendent du bon vouloir du chef d’établissement.



Le 9 février sur France Info, Olivier Véran prétendait encore que les équipes médicales étaient « attentives au bien-être du malade et celui de la famille ». Certes, la majorité des soignants accomplit un travail admirable, dans des conditions rendues difficiles par la pandémie que nous traversons. Mais certains abusent clairement de leur position, oubliant le sens même de la médecine, qui ne peut être résumée à des gestes techniques mais implique également un respect des patients et de leurs proches.



Le ministre de la Santé affirmait également que « les visites à l’hôpital doivent être et sont autorisées dans toutes les situations ». Pour que cela ne reste pas un vœu pieux, les autorités politiques et administratives doivent mettre en place sans tarder un « droit opposable » aux visites des proches, qui pourrait être opposé à l’arbitraire des personnels administratifs par saisine du juge des référés.



Il y a urgence. Chaque visite interdite, chaque décès dans une solitude forcée, chaque mise en bière en l’absence des proches sont autant de douleurs personnelles inconsolables que de reculs de civilisation déshonorant notre société.

Laurent Frémont