L’application Stop Covid nécessite une éthique de la confiance

Des risques d’atteinte à la vie privée

Alors que le plan de déconfinement doit être annoncé, l’un de ses éléments clefs est déjà en préparation : l’application téléphonique qui doit permettre d’éviter la seconde vague de malades que tous les modèles épidémiologiques prévoient. Sa mise en œuvre doit cependant satisfaire des principes éthiques pour permettre son acceptation.

Si personne ne choisit la maladie, il semblerait difficile de généraliser l’application à toute personne sur le territoire national. D’une part, de nombreuses personnes ne disposent pas d’un terminal téléphonique suffisamment perfectionné pour pouvoir installer ce type d’application. L’absence d’équipement ne peut constituer une mise à mort sociale avec interdiction de déplacement, de travail, d’occupation. Les victimes les plus nombreuses de l’épidémie sont celles qui appartiennent aux populations déjà vulnérables avant son émergence : les personnes âgées résidant en EHPAD, les personnes isolées, les détenus, celles sans domicile fixe, les étrangers en situation irrégulière, etc. Toutes ont pourtant besoin de continuer à interagir socialement, ce dont l’absence d’application ne peut les priver.

Cette installation doit d’autre part demeurer volontaire. L’application entraîne évidemment des risques immenses et connus d’atteinte à la vie privée des personnes. Les spécialistes affirment que le recours au Bluetooth sera moins invasif que l’utilisation du GPS, que les données ne doivent en aucun cas être centralisées et que l’algorithme doit demeurer parfaitement transparent. Un contrôle de la CNIL, a posteriori de la présentation du projet d’application est indispensable, de même que celui du Parlement, dans un débat sincère avec un vote impératif. L’Europe a récemment renforcé, par l’entrée en vigueur du RGPD, la protection des données personnelles, surtout des données qualifiées de « sensibles », protection qui peut être modulée dès lors que l’intérêt national est en péril.

Enjeu de souveraineté nationale

Le choix de l’application revêt de même un enjeu de souveraineté nationale évident. Si les GAFAM disposent de la compétence pour pouvoir créer rapidement un tel dispositif, le choix d’un acteur national ou européen pourrait permettre la limitation de toute évasion inopinée et fortuite de nos données. Encore convient-il que cet acteur demeure suffisamment distant et autonome du pouvoir exécutif afin de refuser toute utilisation postérieure des résultats de l’application.

Il convient enfin de préciser les conséquences de l’utilisation de cette application. Son utilité est en effet conditionnée à des mesures de quarantaine stricte. A défaut, elle ne revêt qu’un caractère indicatif qui serait insuffisant à limiter la diffusion du virus. Des pays cités en modèle, tels que la Corée du Sud, a fait le choix de l’assignation à résidence des personnes infectées et de la réquisition des hôtels inoccupés pour ce faire. Il s’agit à l’évidence du meilleur choix en terme sanitaire, mais du moins acceptable au sens des libertés individuelles.

Il nous appartient aujourd’hui de savoir naviguer sur une difficile ligne de crête, que le Gouvernement doit veiller à respecter, entre l’efficacité des dispositifs de lutte contre la pandémie, qui permettent de diminuer le nombre de décès, et le maintien des libertés qui conditionne l’acceptabilité des mesures et le maintien du pacte social qui construit notre Cité. Ni l’autoritarisme des uns ni l’angélisme des autres ne sont des standards efficaces. Il faut savoir réglementer mais avec la main la plus légère souhaitable.

Le futur que nous souhaitons n’est, en outre, pas seulement technologique. Il est humain, charnel, fait d’interactions entre les individus. Il met en œuvre la solidarité entre générations, entre professions, entre compétences, etc. et permet de replacer l’être humain au centre du projet social. Quel prix devrons-nous payer pour la résolution de la pandémie ?

À l’heure où l’exécutif proclame un état d’urgence sanitaire permettant de déroger aux libertés individuelles, au moment où des drones circulent dans l’espace aérien, en l’absence de tout cadre juridique précis, alors que des infractions sont constatées puis enregistrées dans des fichiers qui n’ont pas été constitués pour ce motif mais conduisent pourtant à prononcer des peines d’emprisonnement, au temps où des personnes dénoncent leurs voisins pour ce qu’ils croient être une rupture abusive du confinement, il nous faut rappeler que, par nature, la pandémie frappe chacun d’entre nous.

Nous ne pourrons en sortir sans comprendre que nous sommes irrémédiablement liés, chacun, à l’action les uns des autres. Le principe de fraternité, le sens de la responsabilité individuelle et du bien commun seront les seuls outils qui nous permettront de triompher de cette épreuve. Une application y sera insuffisante, si elle n’est pas accompagnée d’une confiance des gouvernants pour les citoyens et des personnes entre elles. L’urgence est de réapprendre la confiance entre nous, autant que procéder à l’adaptation de notre système de santé et la réhabilitation de notre économie.

Benjamin Pitcho

Avocat à la Cour, ancien membre du Conseil de l’Ordre, maître de conférences à l’Université