Les pandémies ne reviennent pas seules. Le retour du Moyen Âge

« Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le revivre. » G. Santayana

Les leçons de l’Histoire

George Santayana est souvent convoqué pour expliquer que l’existence des crises d’aujourd’hui, et leurs solutions, se trouvent décrites dans le passé. Ainsi seul l’oubli de notre histoire, plus ou moins conscient, aurait empêché d’assurer la prévention ou le contrôle de certains dangers. Néanmoins vouloir se protéger de tout et en tout temps, est une erreur dont on retrouve aussi des exemples dans le passé, que la menace ne fut pas réelle ou que la protection ait été inefficace, mal conçue ou mal réalisée. C’est souvent après que l’on sait ; il y a plus de bons historiens que de bons prophètes, la lucidité rétrospective n’est à nulle autre comparable. Un passé riche et une bonne mémoire permettent de trouver des exemples et des contre-exemples de tout. Notre compréhension des liens entre le passé et notre présent se bâtit à partir de deux règles antagonistes mais coexistant pacifiquement : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (L’Écclésiaste) » et « L’homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (Héraclite). Ainsi, les points communs que je vais décrire aujourd’hui entre notre crise Covid-19 et des éléments du passé ne peuvent prétendre à une grande précision et sont parcellaires, subjectifs et fragiles. Ils n’ont peut-être comme valeur que de nuancer le caractère unique de ce que nous vivons et n’ont pas d’autre ambition qu’illustrative.

Liberté et protection : un équilibre à trouver

Bien qu’on les retrouve dans toutes les périodes de l’histoire, les grandes pandémies nous renvoient au Moyen Âge. Existerait-il d’autres caractéristiques de cette époque que nous retrouverions ? L’organisation sociale du Moyen Âge pourrait être une de ces caractéristiques. À cette époque, il avait été construit une sorte d’arbitrage entre liberté et protection et ce au profit de la protection. Les paysans avaient passé ce type de contrat dans leurs relations avec leurs « seigneurs », renonçant à des libertés (de lieu de chasse par exemple) au profit d’une éventuelle protection, active par les armes ou passive en se réfugiant dans l’enceinte du château seigneurial. On peut noter qu’au Moyen Âge, au moins, si l’abandon des libertés était très clair, la protection, elle, était plus aléatoire. Aujourd’hui, en l’absence de vaccination et de traitements simples, efficaces, non dangereux, la gestion de l’épidémie actuelle s’oriente vers un équilibre dosé différemment selon chaque pays entre ces deux ambitions : respecter la liberté et offrir la protection. Les restrictions modernes de liberté portent par exemple sur le confinement ou l’utilisation d’e-application basée sur la localisation plus ou moins précises des personnes.

Rechercher les causes

Une seconde caractéristique du Moyen Âge était la prééminence de l’expert sur l’expérimentation. Les Lumières par la suite ont inversé cette priorité. Aujourd’hui on peut considérer que sous la pression de la « demande sociale » sont remis en question les arbitrages entre ces deux sources du savoir (qui dans l’idéal coexistent : une expérimentation conforme réalisée par un expert reconnu). Ainsi, la perception de la menace, la perception de l’urgence, déplacent les zones d’équilibre entre expert et expérimentation. Pour simplifier il s’agit d’un arbitrage de priorité, entre vite et bien ou plus précisément combien de « bien » suis-je prêt à sacrifier pour avoir « vite » ? Un autre point commun peut également être rappelé, certes présent au Moyen Âge, mais aussi avant, après et aujourd’hui : la recherche d’une cause simple à un phénomène complexe et surdéterminé. Cette quête ne peut qu’être simplificatrice et parfois prédéterminée par l’utilisation de « coupables » pré-identifiés à leurs crimes. Les causes sont parfois plus construites par notre analyse que leur réelle implication dans les phénomènes observés. On quitte ainsi le monde physique des causes mécaniques pour aller vers le monde juridique coupable/innocent voire vers un monde religieux péché/punition (très prégnant au Moyen Âge). Parfois pour se simplifier la réflexion, on simplifie le monde. Si les deux premiers points sont inévitables : les arbitrages entre liberté et protection et les priorisations entre expert et expérimentation, peut-on espérer s’éloigner de cette tentation de trouver un coupable unique d’un phénomène complexe ? Si l’histoire est un cycle que va nous apporter la Renaissance ? Remerciements : André N. d’Anna, retraité de la recherche publique (CNRS).

Francois Eisinger

Médecin interniste, Institut Paoli-Calmettes (Centre régional de lutte contre le cancer, Marseille), Comité d'éthique de l'INSERM, Haut Conseil de la santé publique.