« Madame, votre test covid est positif »

Vendredi

Je viens de conclure l’achat d’une nouvelle voiture indispensable à mon autonomie, geste exceptionnel mais qui marque la vie quotidienne. On respecte les gestes barrières, comme je le fais en permanence, je suis très lucide sur mes risques si jamais j’attrape le Covid,-19 risques augmentés depuis que j’ai un traitement immuno-supresseur. Depuis quinze jours je fais encore plus attention et alerte et endosse le rôle de l’emmerdeuse lorsque je vois des rencontres prévues avec plus de dix personnes. J’essaie de limiter mes sorties le plus possible et envisage de me reconfiner totalement. Les indicateurs médicaux auxquels j’ai accès ne sont pas bons, mais peu autour de moi en tiennent compte.

Depuis hier je tousse et surtout j’ai très mal à la tête, c’est ce qui m’alerte. Je vois mon médecin, on tombe d’accord sur le fait que si cela persiste, antibiotiques et test. Le vendredi j’ai 38° je commence les antibiotiques et je cherche un lieu pour me faire tester.


À Mermoz je rentre dans la file peu nombreuse mais j’apprends que les personnes présentes ont toutes un rendez-vous, j’en pars et décide d’aller au Palais des sports. Là 3 heures d’attente minimum, debout. En fait rien n’est prévu pour les personnes en situation de handicap. J’explique que j’ai une carte d’invalidité mais nada. J’en pars et reprends la liste que mon médecin m’avait donnée ; je vais proche de chez moi, peu de monde et on échange. Là aussi, ils ont tous un rendez-vous, déception ! Mais celui qui est derrière moi me dit qu’il est « cas contact », il a appelé et le secrétariat lui a dit qu’il passerait entre deux. Je reste donc, et quand un des infirmiers sort (nous sommes tous dehors pour faire la queue) je lui explique que j’ai une ordonnance et suis symptomatique. Il me dit d’attendre et que je passerai entre deux rendez-vous.

Je reste.

Le test.

Je repars.

 

Samedi 13h

 Appel téléphonique. « Madame, votre test covid est positif » et on raccroche. Le lendemain appel de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, je donne la liste des personnes rencontrées la semaine précédente ; un seul sera contacté.

Je m’organise, commande sur internet un saturomètre, préviens par mail mon médecin traitant et celui de médecine interne à l’hôpital, j’appelle ma téléalarme pour leur demander de me transférer en service de médecine interne si j’appelle en urgence. Je peux dire à mon médecin que « j’ai peur » ; j’ai 39° et tousse de plus en plus. Je dis à la fois que j’ai peur et que je suis prête. Quelle prétention ! La peur oui, être prête non je ne l’étais pas parce que je ne pouvais pas imaginer !

 

Lundi

Je frissonne toute l’après-midi. J’ai 39°, on évoque la possibilité d’une hospitalisation le lendemain, je ne mange pratiquement plus.

Le lendemain mon médecin hésite, on s’accorde sur le fait qu’il envoie un mail en médecine interne pour avis. La réponse est par retour, je suis attendue dans le service à 15h. Je prends mon sac préparé pour les hospitalisations d’urgence, mon ordinateur, quelques films : selon moi ce sera pour 2 ou 3 jours, et je cherche un transport en ambulance. Cinq appels sont nécessaires, lorsque je dis que c’est pour un Covid, il n’y a plus de créneaux de libres… Tiens, une nouvelle discrimination ! Je trouve, on vient me prendre je pars avec mon petit sac et une petite valise, le minimum.

À mon arrivée dans le service, je me dis que c’est beaucoup d’affolement pour rien, j’attends, tranquille. Je n’ai pas de fièvre. Mais tout de suite on me met sous oxygène, 2l. Bilan sanguin. Installation. Le soir et la nuit je frissonne 39°, hémocultures. On m’annonce d’emblée 12 jours de surveillance en moyenne.

 

Mais c’est la planète qui va mourir de tous ces déchets à usage unique qui sont jetés !…

 

Mardi

Le lendemain 3 soignantes arrivent en même temps dans ma chambre pour me poser une perfusion de dexaméthazone, une autre perfusion pour m’hydrater, on m’annonce un scanner thoracique l’après-midi. Mais tout cela évoque pour moi ce qui se fait dans le Covid-19 grave, celui que je redoute, celui qui peut me conduire en réanimation. Je m’effondre.

Je découvre le protocole d’isolement. Infirmières et aide-soignante ont une sur-blouse dont la couleur va varier en fonction des livraisons : bleues marines ou claires, blanches ou roses ! Dessus un tablier plastique transparent c’est lui qui est à usage unique et sera laissé dans la chambre dans la grande poubelle jaune comme produit contaminé en même temps que les gants à usage unique. Mais c’est la planète qui va mourir de tous ces déchets à usage unique qui sont jetés !… La charlotte, le masque et des lunettes plastique viennent compléter la tenue cosmonaute ou schtroumpf selon les jours et mon moral ! S’il y a un besoin de comprimé alors que la soignante est dans la chambre, elle ne sort pas de la chambre, interpelle la personne relais qui est dans le couloir, apporte le comprimé souhaité ce qui évite ainsi de se déshabiller, de jeter tablier et gants puis de se remettre en schtroumpf.

Ce jour-là je vois deux médecins, femmes ; je trouve qu’elles se ressemblent et ce n’est que quelques jours plus tard que je peux les différencier. L’une arrive plus tôt que l’autre et je comprends qu’elle est interne en fin de formation, je l’appellerai Céleste[1], l’autre est praticien hospitalier. La confiance s’instaure tout de suite. En fait je réalise que pendant tout le séjour je suis incapable de reconnaitre infirmières ou aides soignantes. Avec leur accoutrement tout le monde se ressemble et la charlotte ne permet même pas de différencier la couleur et la coupe de cheveux. Moi qui suis de base prosopagnosique, cela altère fortement mes capacités de reconnaissance déjà très limitées. La première fois où je les vois, les soignantes se présentent mais pas les fois suivantes, leur nom ou prénom sont cachés par les sur-blouses et les tabliers. On ne les voit pas. Je m’attache à repérer le surliner de l’une au niveau des yeux, c’est une élève infirmière en fin de formation, l’échange s’instaure, riche, une relation au fil des jours se construit, mais je ne la reconnais que grâce à ses yeux.

Dans la nuit frissons et température à 39°.

 

Mercredi

Le mercredi matin on aborde avec l’un des deux médecins l’évolution possible de ma situation. Je demande les critères de transfert en réanimation et précise que j’ai une personne de confiance et des directives anticipées. Elle me demande de pouvoir les lire. Silence. Je n’avais jamais envisagé que j’aurais un jour à « discuter » du contenu de mes directives qui justement sont là au cas où je ne puisse plus m’exprimer. Situation déconcertante. Le médecin rebondit sur deux points : celui de la recherche où elle me propose de rentrer dans l’étude Discovery et la proposition du passage d’un aumônier. J’accepte les deux propositions, je signerai tous les papiers de Discovery dans la demi-heure suivante et j’apprends que je suis tirée (au sort) sans le Remdesivir, ce qui me va bien. J’en connais les effets secondaires rénaux que j’aurais acceptés si j’étais rentrée dans ce bras avec traitement mais je préfère sans !.

On évoque rapidement la pose d’une voie centrale (picline) mais dans 10 jours ! Et dans l’après-midi j’ai un scanner thoracique.  J’entends par hasard le résultat il n’y a que 20 % des poumons touchés. Cela semble être rassurant… 0 % aurait pourtant selon moi, été mieux ! Le médecin m’explique que c’est pour avoir un bilan de base, si besoin…

 

À ce stade tout mouvement me fait tousser et c’est juste insupportable

 

Les jours se suivent

On me demande de faire du plat ventre pour libérer les zones pulmonaires touchées, c’est très éprouvant ; tout mouvement me fait tousser en quintes interminables. J’ai mal aux côtes et à l’abdomen à force de tousser, si seulement ça pouvait s’arrêter. On augmente l’oxygène.

La toux est toujours aussi massive et permanente. Elle conduit à des douleurs thoraciques et abdominales majeures. Elle m’oblige à dormir en position demi-assise et surtout sans bouger, j’apprends à dormir ainsi. À ce stade tout mouvement me fait tousser et c’est juste insupportable. Les maux de tête présents depuis le tout début sont toujours là.

Les nuits sont éprouvantes, je démarre à 36°5 et termine à 39°5. Au cours de l’une d’elles je grelotte tellement que je demande quelque chose de chaud pour me réchauffer alors que j’ai déjà 39°. Un lait chaud sucré est merveilleux et me calme. Les nuits sont toutes compliquées et difficiles. Beaucoup d’aides-soignantes sont très obèses, cela m’interpelle. Au cours de l’une des nuits, problème avec une remplaçante qui s’acharne pour prendre la saturation d’un coté, de l’autre, sur une oreille, sur l’autre… Je réagis… le lendemain c’est la cadre du service qui vient s’enquérir de ce qui s’est passé. Je lui explique, elle me rassure. Plus tard elle me demandera si un coca me ferait plaisir ?

Se faire plaisir ! Dans cet environnement fermé, interdit à toute visite, dont tout ce qui en sort est supposé infecter, voilà bien un vrai défi. Et c’est celui des soignants qui perçoivent ou tentent de percevoir que vivre confiné dans nos chambres est difficile, voire impossible. Ils inventent, ils créent des gestes d’humanité pour faire sens dans cet impensable qui est tombé sur nous, pourtant j’ai toujours fait attention… Les soignants deviennent pour moi des bouées de sauvetage ! Alors oui, ok pour un coca qui arrive tout frais et qui a comme un goût de champagne. Merci Madame.

Et comme j’ai eu de la chance. Dès le lendemain de mon hospitalisation  une amie psychologue avec qui j’ai fait ma formation d’hypnose, Justine, est là. J’avais bien lancé un SMS la veille sachant qu’elle travaillait à l’étage du dessus et qu’avec mes 39° une bombe à eau serait la bienvenue. Et la voilà, j’ai peine à la reconnaître le lendemain matin où déjà 3 cosmonautes sont déjà dans ma chambre, mais c’est bien elle. Elle reste un peu et me propose un temps inspiré des techniques d’activation cérébrale que je connais un peu. Ça me fait du bien, plus tard une autre hypno-thérapeute me proposera une séance sur le souffle. Une piste à investir.

Plus personnellement mon hospitalisation et l’annulation de mes participations à des réunions prévues se diffusent et j’ai de plus en plus de demandes de nouvelles par téléphone ou SMS. Mais ma voix commencent à s’éteindre et au téléphone à n’être que chuchotée avec beaucoup de souffles courts. C’est de plus en plus éreintant pour moi de répondre. Les SMS se veulent rassurants : « j’espère que tu vas bien et que tu sortiras très vite ». Rien de pire quand moi je sens que c’est chaque jour plus difficile, qu’on augmente l’02 et que je compte les jours entre J7 et J10 pour passer le cap fatidique de l’orage inflammatoire connu dans l’évolution du Covid-19 grave. J’ai lu beaucoup d’articles médicaux sur ce risque, comment il peut apparaître en quelques heures et comment il peut évoluer en réanimation. J’ai peur.

Un ami mis au courant de mon hospitalisation veut m’appeler matin et soir et j’ai du mal à lui dire non. Il m’appelle alors que je suis à plat ventre et dans l’impossibilité de lui répondre. Je laisse sonner, j’apprends plus tard qu’il a appelé les infirmières pour avoir des nouvelles. J’en suis très en colère, on les a dérangées alors que de mon côté je fais tout pour ne pas les ennuyer, pour ne pas rajouter des petits besoins personnels qui attendront bien leurs prochains passages, dont je connais maintenant les horaires qui seuls rythment mes journées solitaires. Il faut que je trouve une solution pour pouvoir donner des nouvelles globales sans devoir répondre personnellement aux inquiétudes des un(e)s et des autres qui ont parfois besoin de se rassurer eux, au cas où. Je sens tout ce qui se passe habité par la peur, peur d’être touché – si moi je l’ai été, alors que je faisais tant attention et les serinais pour les masques, la distance, les fenêtres, ils peuvent l’être ! Peur…, peur de l’évolution, bien sûr je vais m’en sortir (et je me dois de m’en sortir), et ne pas aller en réanimation, peur du confinement qui va arriver 8 jours après mon arrivée dans le service, aggravé par les attentats de Nice le lendemain matin… Un monde en souffrance qui me touche tant.

J’ai besoin de mettre un peu de distance, je ne peux plus répondre à chacun. J’imagine mettre des nouvelles chaque jour sur le répondeur, mais cela signifie que je verrai qui appelle sans répondre, cela me semble difficile et puis avec ma voix chuchotée pas simple. J’opte pour la création d’un groupe WhatsApp qui me permet aussi d’informer les ami(e)s qui ne le sont pas encore. Et c’est un soutien exceptionnel qui se construit illustré par des messages, des partages de vie, des vidéos, des textes à méditer, des fenêtres vivantes du monde extérieur auquel je n’ai plus accès, je peux m’évader un peu. L’amitié vient de tous les coins de France. Une force de vie qui s’insuffle en moi. Un autre Whatsapp qui existait bien avant le Covid-19 m’aide aussi par la force de la prière qui en émane. Mon groupe d’amies proches s’organise et elles font un tour de garde pour m’appeler chaque jour.  Je ne prends en direct que les quelques appels proches.

 

Les jours passent, la peur de la réanimation s’éloigne j’en suis à J12, J13…

 

Jeudi

J’apprends la mort de Serge. Serge c’était un ami proche. Nos vies se sont croisées au sein de l’APF, chacun de nous deux portant une situation de handicap différente mais avec des maladies comme cousines. Il était généreux, attentionné, et s’était tout de suite intéressé au projet des Fenottes en 2007, destiné aux répits des aidants. Depuis que nous avions crée le concept il a accompagné son évolution au sein du groupe projet. Idem pour Résol’handicap, projet de soutien à l’insertion dans leur environnement des personnes en situation de handicap. J’avais souvent recours à ses connaissances informatiques et régulièrement une ou deux fois l’an nous nous retrouvions au restaurant avec sa maman avec qui il vivait. Alors apprendre qu’il était mort ce matin, qu’il ne s’était pas réveillé (il était depuis longtemps avec une assistance respiratoire nocturne) c’était juste l’impensable et l’infinie tristesse qui m’envahissaient. Et ne pas pouvoir lui dire adieu, ne pas pouvoir aller aux obsèques c’était juste impossible et tellement injuste…

Céleste m’a aidée ; le matin à son passage on évoquait ce départ, elle ose s’asseoir au bord du lit, pour être simplement proche. Elle m’a même proposé d’organiser ma venue aux obsèques en fauteuil, mais cela ne m’a pas paru ajusté. J’ai écrit à Serge un mot d’adieu, c’est une amie proche qui le connaissait qui l’a lu. Ce fut ma manière de lui être présente. Traversée qui m’a invitée à être en communion avec toutes celles et ceux qui perdent l’un(e) des leurs dans l’absence de la présence tant pour le dernier souffle que le dernier adieu. Communion et prière.

J’avais le sentiment que mon cœur était dilaté en communion avec toute cette souffrance, celle des malades, de leur entourage, celle de soignants, celle des attentats, celle de la société qui a peur. Seule la prière m’aidait à porter cette perception très particulière. J’ai pu la partager avec l’un ou l’autre au téléphone et avec l’équipe de l’aumônerie. À partir du jeudi j’ai eu leur visite, tous les jours, bon, très bon. J’étais bouleversée qu’ils et elles prennent le risque de venir me visiter, en acceptant comme les soignants de se schtroumfer ! Des partages forts sur la vie, la peur, la mort, la prière. L’essentiel, quoi !

Les jours passent, la peur de la réanimation s’éloigne j’en suis à J12, J13… Se pose la question du lavage de mes vêtements. Rien ne doit sortir de ma chambre, tout objet est considéré comme potentiellement infecté et donc contaminant. Alors comment faire ? Je n’ai pas encore assez de force pour laver tout mon linge dans ma chambre. Je trouve des amis qui accepteraient de récupérer mon sac de linge. Finalement la cadre du service me propose une « opération spéciale » !… Dans ma chambre on met mon linge dans un grand sac thermosoluble fourni par l’hôpital. en dehors de ma chambre on met ce sac dans un sac plastique considéré lui comme propre. Une machine à laver le linge est dans le service à côté. Personne ne touchera le sac « suspect » puisqu’il sera versé sans le toucher dans le tambour de la machine. Plus tard on réfléchira comment faire sécher le linge, ce sera une autre question. Mais quelle ingéniosité pour trouver des solutions à nos préoccupations si matérielles que d’avoir du linge propre. Je suis admirative de l’effort déployé par cette femme pour nous soulager, nous aider, nous humaniser. Des fleurs d’humanité dans ce désert de nos chambres. Toutes ces inventivités me bouleversent d’humanité.

Progressivement je découvre comment les soignants en formation ou non sont projetés dans le monde du Covid. C’est Céleste, l’interne en dernière année qui devait commencer un master2 de recherche. Elle apprend qu’un nouveau service médical de Covid ouvre ce week-end ; elle se propose d’y participer comme faisant fonction de chef de clinique, reportant à plus tard son projet de recherche. Je connais bien le médecin du service où elle ira et tente de désamorcer ses craintes. Elle peut y aller sans peur, lui aussi il aura avec Céleste une aide solide. Respect.

Ce sont des copains médecins qui doivent s’adapter à de nouvelles fonctions médicales, passer de la spécialité du sommeil à l’accueil de personnes âgées non covid post-réanilmation, ou de l’addictologie à un service de médecine Covid. Respect !

C’est une interne venue de Lille pour se former à la rééducation neurologique, elle ne verra que des patients Covid en rééducation respiratoire à l’effort. Respect !

C’est Justine, psychologue en infectieux ; elle est mutée en réanimation pour accompagner toutes celles et ceux qui y sont transféré(e)s. Respect ! Encore et encore.

C’est Elodie une jeune qui a prévu de rentrer en école d’infirmières en septembre. Pour l’instant elle n’a eu aucun cours en présentiel mais est affectée dans le service. Elle n’a jamais vu un malade « normal » et se retrouve projetée dans le monde Covid d’emblée. Je lui propose de lui faire une formation accélérée sur les stomies digestives, de voir, de toucher et de me poser toutes les questions possibles ! Pari gagné, je crois qu’elle s’en souviendra !

C’est Claire en dernière année d’infirmière, elle vient toujours avec sa tutrice, mais n’en a pas besoin. Geste assuré, parole ajustée, bonne pour un avenir brillant !

Ils sont vraiment forts ces soignants !

 

C’est maintenant le défi que je dois relever !

 

Nous sommes à J14

C’est l’avant-dernier jour du semestre d’internes. Céleste veut absolument que je puisse bénéficier d’un séjour en rééducation. On m’annonce que je pars 3 heures plus tard dans l’hôpital où autrefois j’ai fait mon internat et mon clinicat. J’appréhende un peu d’y retourner dans ces conditions mais bien sûr j’accepte et prépare mes affaires. Je suis malgré tout heureuse de pouvoir libérer un lit de médecine Covid. Transport en ambulance schtroumfée. J’arrive dans le service Covid de l’établissement. Même règle d’isolement. La première semaine on a le droit de déambuler dans le couloir, ce qui sera impossible après.

 

Le grand changement est que j’ai kinésithérapie deux fois par jour pour me remettre à l’effort. Mais c’est compliqué de faire des efforts musculaires, confinée dans une chambre. Un nouveau pari que relève mon kiné avec l’aide d’un ballon. Arriver à jouer au basket, ou au foot de part et d’autre du lit fut source de joie et … d’essoufflements. Mais je revenais à la vie ! Chaque jour il avait une idée nouvelle jusqu’à apporter un badminton juste pour le plaisir ! Cet effort d’ingéniosité et d’inventivité m’a lui aussi beaucoup marquée.

La toux commençait à disparaitre, j’ai pu retrouver la position couchée pour mes nuits.  Bienheureuse. On a commencé à diminuer l’oxygène.

Tous ces soignants se sont acharnés à être plus forts que les conditions de vie qu’impose le virus. Leur présence, leur acharnement est celui de la vie et de l’humanisation là où il n’y a que peur et perte de repères et absence de figures aimées et réconfortantes. Une grande leçon de vie qui m’oblige à continuer de me battre pour physiquement redevenir comme avant ! Ou presque…

C’est maintenant le défi que je dois relever !

[1] Tous les prénoms ont été modifiés

Marie-Hélène Boucand

Médecin, ancien chef de service MPR, docteure en philosophie