On cherche à protéger les corps du virus, au détriment de leurs âmes qui disparaissent un peu plus chaque jour qui passe…

Il faut supplier, quémander, négocier pour accéder à ma Maman

Patricia…

C’est ma maman. Elle est ma vie, elle est mes yeux, elle est mon cœur… Privée d’elle, depuis mars, j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer.

Patricia est hémiplégique ; suite à un AVC en 2012, sa vie a basculé. Son existence paisible s’est arrêtée. Aujourd’hui, il lui faut vivre avec son handicap. Grâce à ma présence à ses côtés, elle trouve la force d’affronter chaque nouvelle journée. Je suis son roc, elle est mon phare dans la nuit…

Depuis l’arrivée du virus, brutalement, les portes de l’EHPAD se sont fermées… L’EHPAD où je culpabilise déjà de l’y avoir fait entrer, est devenu une prison… Pas de sortie, pas d’accès à sa chambre, visites en parloirs… Il faut supplier, quémander, négocier pour accéder à ma Maman.

Le dialogue est difficile avec le directeur… Ma maman est devenue une résidente parmi tant d’autres, et a d’ailleurs perdu toutes ses libertés… On cherche à protéger les corps du virus, au détriment de leurs âmes qui disparaissent un peu plus chaque jour qui passe….

Le personnel soignant ? Ils sont tous adorables, mais si peu nombreux… La porte de sa chambre ne s’ouvre qu’au moment des repas, pour déposer son plateau, et qu’à l’heure de la toilette et du coucher.

Un autre résident déambulant, tel un mort-vivant rôdant, ouvre parfois sa porte par erreur, et repart en la laissant ouverte… Ça agace Patricia.

« Mes seuls amis sont les pigeons » me dit-elle, et je la devine regardant vers le rebord de sa fenêtre …

Ça ne peut plus continuer ainsi ! J’ai toujours été aux côtés de ma maman pour l’aider et la soutenir dans son quotidien. Je ne peux pas me résigner à la voir glisser vers la mort, doucement mais sûrement.

Il faut nous permettre à nous, aidants, aimants, d’accompagner nos parents dans cette crise sans précédent, car plus que jamais, ils ont besoin de nous !

C’est ma maman. Elle est ma vie, elle est mes yeux, elle est mon cœur.

Et elle a tellement besoin de moi.

Tu me manques Maman…’

Mon combat depuis 1 an, et la création du Think Tank CPAE, pour rassembler, soutenir et s’entraider entre familles de résidents d’EHPAD désemparées….

CPAE : Cercle des Proches Aidants en EHPAD (environ 1000 membres à ce jour)

J’ai entamé une grève de la faim le 5 avril 2020, devant l’EHPAD de ma maman, tellement j’étais à bout et désemparée d’être privée d’elle depuis 1 mois…

Ma mère, Patricia, 81 ans, est en effet résidente d’un EHPAD public dans le 15e arrondissement de Paris. Elle a toute sa tête mais elle est restée hémiplégique suite à un AVC. Je l’ai gardée à son domicile pendant 7 ans, malheureusement à la suite d’un accident qui m’a laissée handicapée, je ne pouvais plus continuer à prendre soin d’elle et tout assumer seule.

Depuis le 1er confinement au mois de mars 2020, je n’ai eu de cesse de me battre. Mes demandes d’accès à ma maman étaient raisonnables – d’autant que je suis moi-même issue du milieu médical et j’ai été volontaire soignante en soins intensifs Covid. Immédiatement, je me suis heurtée au refus du directeur, qui ne voulait pas que j’accède à la chambre de ma maman.

C’est à ce moment que j’ai sonné l’alerte dans les médias : nos parents étaient totalement isolés, les personnels n’avaient pas de matériels de protection et les familles étaient tenues à l’écart, totalement impuissantes face à la détresse de leurs parents.

D’autres familles m’ont vue dans la presse et m’ont contactée ; c’est là que nous avons décidé de mener ce combat ensemble, et le CPAE est né.

La majorité des histoires concerne les difficultés face à des directions aveugles, sourdes et inflexibles, qui ont décidé, depuis le début de cette crise, de garder les familles le plus à l’écart possible.

On demande en tant qu’aidant à ne pas être dépossédé de nos liens avec nos parents…

Dès le mois de juin, j’ai rencontré différents membres de Cabinet du ministre déléguée chargée de l’Autonomie auprès du ministère des Solidarités et de la Santé avec Philippe Prince-Demartini (président de l’association FAVICOVID EHPAD).

Nous leur avons remis des recommandations et des préconisations issues de la réflexion et la concertation des familles du CPAE, ainsi que des témoignages.

Depuis le début de la crise, les restrictions étaient quasiment carcérales dans beaucoup d’EHPAD.

Là où le bât blesse, c’est que le ministère émet des recommandations que les directeurs sont libres de d’assouplir ou de resserrer ; ils ont donc toute latitude pour imposer des règles de façon unilatérale.

Nous déplorons aujourd’hui la mise à écart des familles. Il faut une véritable reconnaissance du rôle des aidants (qui sont minoritaires – moins de 10 % de parents impliqués) et nous impliquer dans la prise en charge de nos parents.

Les morts par glissement peuvent être évitées, tandis que les morts par Covid, pas vraiment.

Aujourd’hui : les résidents, dans une majorité d’EHPAD, ont droit à 0 sortie, 0 ballade et 1 accès en chambre uniquement « pour les fins de vie ».

Nous demandons que les familles impliquées depuis toujours puissent accéder aux chambres de leur parent pour les accompagner dignement et les soutenir, avec strict respect du protocole sanitaire, et de pouvoir faire quelques petites promenades à proximité de l’EHPAD.

Seules les familles n’ayant pas respecté les gestes barrières et le port du masque, devraient être interdites d’accès, mais il ne faut pas toutes nous sanctionner arbitrairement.

Il faut valoriser le lien entre l’aidant et le résident, en intégrant le proche aidant dans le parcours de soin, bien plus qu’il ne l’est actuellement.

C’est fou de vous dire qu’il aura fallu que je prenne un avocat pour avoir accès à ma maman, et obtenir des réponses à mes questions sur la gestion de l’épidémie dans l’établissement ! Je suis d’ailleurs partie prenante dans une procédure collective, car j’estime que nous avons le « droit à la vérité ».

Plus il y aura de transparence avec les familles, mieux ça se passera.

On demande en tant qu’aidant à ne pas être dépossédé de nos liens avec nos parents… Tout simplement.

Dans cette épidémie, du jour au lendemain, les directeurs se sont transformés en geôliers et en Juges de libertés. Il a fallu 6 mois de négociation pour que je puisse voir ma mère, dans sa chambre ! C’est scandaleux !

Beaucoup de directeurs ont totalement fermé leur EHPAD, afin de se protéger des plaintes en cas de contaminations Covid ; les morts par glissement n’étant pas comptabilisées, ça ne leur a pas posé de cas de conscience d’enfermer nos parents et de bafouer tous leurs droits et libertés.

Depuis le début de la crise, pas un jour ne passe sans que je ne fasse une démarche pour pouvoir accéder et accompagner ma maman.

Bien que le ministère des Solidarités et de la Santé et le Comité consultatif national d’éthique prônent des mesures « proportionnées et individualisées », nous avons souvent constaté que nos parents avaient perdu leur individualité, au profit d’une seule gestion collective…

Pour beaucoup de résidents malheureusement, « fin de vie = fin de droits ».

La lueur d’espoir que constitue le vaccin se tarit jour après jour : nous avions espoir que nos parents retrouveraient leurs libertés dès lors que la campagne de vaccination était achevée…

Malheureusement, beaucoup de directeurs annoncent déjà que les restrictions ne seront pas levées tant qu’il n’y aura pas d’immunité dans la population générale. Bien que 90 % des résidents aient accepté de se faire vacciner, ce n’est pas le cas pour 70 % des personnels d’EHPAD (en moyenne).

Une majorité de directeurs maintiendront le confinement afin de protéger le personnel ; je ne vous cache pas que nous sommes consternés par le manque de responsabilité individuelle et collective de ces équipes, qui sont pourtant au contact de personnes âgées vulnérables.

Je peux vous assurer que bons nombres de parents des membres du CPAE, ne verront pas le printemps, si cet isolement strict et l’interdiction d’accès aux chambres sont maintenus.

Aujourd’hui, mercredi 10 mars, Laurence m’a appris que sa maman était décédée la veille. Elle n’est pas morte de la Covid, elle est morte à cause des restrictions en cours dans l’EHPAD ; sa famille ne pouvant plus venir quotidiennement, elle s’est enfoncée dans une grave dépression, et s’est laissée mourir de chagrin.

Laurence est une des membres fondateurs du CPAE ; vendredi 12 mars, j’irai à la Messe en hommage à sa maman, pour la soutenir. Ça n’aurait pas dû se terminer ainsi…

Sabrina Deliry