On vit de grands moments d’inhumanité, le traitement de nos ainés dans la France des droits de l'homme en dit long sur notre société

J'ai retrouvé mon père tout fragile, apeuré, ne comprenant pas ce qu'il faisait dans cette salle parloir

Mon père de 91 ans (est entré en EHPAD privé le 28 décembre 2020. Il souffre de la maladie d’Alzheimer, diagnostiquée en avril 2020. Dès son arrivée, il a été isolé en chambre malgré un test négatif. Nous n’avons pas eu le droit de l’installer dans sa chambre et n’avions pas pu visiter les lieux. Nous ne connaissions donc pas la structure ni le personnel. Il était impossible pour nous de se représenter mon père dans son futur lieu de vie. Rien n’a été proposé pour une visite virtuelle par exemple. 

J’ai pu rendre visite à mon père à l’issue des 7 jours d’isolement avec plusieurs ‘’négligences’’ constatées (où ‘’détails’’, dixit la directrice) : 2 teeshirts et 1 maillots de corps comme unique linge sale au bout de 8 jours, un sac de voyage rendu en fouillis avec des pièces de jeux mélangés à des bonbons au miel, des jeux incomplets et des boîtes manquantes, des kleenex, une chaussette, sa montre au milieu de ce fouillis, son étui à lunette vide, ses lunettes dans un petit sac de pièces de jeux et sa petite lampe de poche lorsqu’il se lève la nuit. Le personnel était également dans l’impossibilité de nous dire où se trouvait le linge de mon père, soi-disant qu’il ne possédait aucun vêtement (,). 

Concernant ces affaires, pourquoi nous les a-t-on rendues ? Naïvement, j’ai pensé que tout cela serait utilisé par le personnel, notamment pendant l’isolement, puisqu’aucune activité n’était autorisée. J’ai aussi compris que les personnels n’avaient pas le temps de s’occuper des gens plus que ce qu’ils ne faisaient quotidiennement. On nous a également rendu ses prothèses auditives qu’il pourrait perdre ainsi que ses lunettes. Sa canne lui a été ‘’confisquée’’ : il tapait sur la porte fermée avec ;il voulait sortir. 

J’ai retrouvé mon père tout fragile, apeuré, ne comprenant pas ce qu’il faisait dans cette salle parloir. Je n’ai pas eu l’autorisation d’apporter un gâteau maison, que des biscuits emballés. Son gilet était sale et il ne portait aucune chaussette. Il s’est effondré en larme à plusieurs reprises avec ses interrogations. Notre horaire de visite n’était pas son heure à lui. C’était particulièrement traumatisant de retrouver mon père dans ces conditions. Il n’était déjà plus le même homme que le 28 décembre 2020 lorsque je l’ai amené.

La directrice m’a demandé d’écrire un courrier d’excuses

Quelques jours de liberté et re-isolement le 14 janvier 2021 suite à des cas covid, notamment parmi le personnel. La politique a été de confiner et donc d’isoler les résidents testés négatifs pour les protéger. En revanche, les résidents ayant déjà contracté le virus bénéficiaient de quelque liberté et activité. Aucune Unité Covid n’a été mise en place afin d’isoler les malades. Tout le monde en chambre. Ni visite ni activité. Plateaux repas. 

La campagne de vaccination a débuté le 22 janvier 2021 et mon père a pu bénéficier d’une première injection. Dans sa quatrième semaine toujours en isolement et après une demi-douzaine de tests PCR toujours négatifs, il a finalement été testé positif au covid (asymptomatique). La directrice et le médecin coordonnateur n’expliquent pas comment il a pu attraper ce virus. En effet, personne au niveau du personnel à ce moment-là n’était positif et/ou malade. Une infirmière m’a bien confirmé que certains tests étaient erronés. Personne n’a trouvé utile de confirmer ce résultat de test en lui permettant d’en repasser un autre. Il a donc rempilé pour 14 jours supplémentaires parce que le taux de contagiosité était élevé. 

Ses troubles du comportement sont en augmentation. 

Vers la mi-février 2021, on a pu effectuer des vidéos. On se contente de ce que l’on a… Une vidéo sur tablette avec un monsieur de 91 ans atteint de troubles cognitifs, sans ses prothèses auditives, sans ses lunettes, c’est très compliqué. Ces vidéos m’ont permis de me rendre compte du glissement de mon père : amaigrissement, troubles cognitifs. 

Dernièrement, à 16h30, il était toujours en pyjama. J’ai posé la question pourquoi mon père n’était pas habillé, lavé, pas rasé depuis plusieurs jours. A quoi bon, il est dans sa chambre ! Je l’ai signalé à la directrice qui n’a pas trouvé normale cette situation. En même temps, l’aide-soignante, vacataire, verbalise qu’elle a beaucoup de travail. Comme pour les vidéos gérées par l’animatrice, c’est très rapide, elle est seule et fait ce qu’elle peut…

J’ai alerté la direction de ce groupe, mon député, sans réponse, l’ARS, sans réponse, le journal de mon département, sans réponse. La Maire de ma commune m’a téléphoné pour me dire qu’il ne pouvait malheureusement pas agir au sein d’un EHPAD privé et que d’ailleurs, la nouvelle directrice n’avait pas souhaité pour le moment le rencontrer ! La colère, la révolte et la tristesse m’ont fait écrire ce courrier très spontanément. 

Le ‘’service client’’ de cet EHPAD privé en revanche a bien reçu mon courrier et la transféré à la directrice. Ma mère (83 ans) a été informée de celui-ci par la directrice, qui le lui a fait lire, l’a convoquée. Avec diplomatie, ma mère a eu droit à un chantage : soit je me calmais car je venais de rompre le ‘’contrat de confiance’’ avec l’EHPAD, soit le séjour de mon père était compromis, remis en question (contrat renouvelable en accueil temporaire). Ma mère et moi nous nous sommes disputées, elle ne voulait pas de vague et n’était pas en mesure de s’occuper de nouveau de mon père. 

Après un long échange téléphonique avec la directrice, celle-ci m’a demandé d’écrire un courrier d’excuses. Le personnel aurait mal pris mon courrier. Comme il tardait à arriver, elle m’a relancé et j’ai compris que c’était la condition pour que le contrat soit renouvelé. Il fallait que je m’engage moi dans un contrat de confiance avec elle : pas de vague, pas de plainte, je subis, je ne dis rien, je ne vois rien, je n’entends rien, une question : je l’appelle.

J’ai mal pour mon père et moi-même je glisse

En termes de communication et d’information, on a les nouvelles via leur application et par mail. Les personnes comme ma mère sont appelées au téléphone pour les informer. Au fil des semaines et d’échanges vides avec des personnes qui ne ‘’suivent’’ pas votre père (« il est gentil, il sourit, il est agréable »), vous apprenez à connaître des noms de personnes plus fiables qui peuvent vous donner des nouvelles de votre père. C’est au bout de presque deux mois que le médecin coordinateur que j’ai eu en ligne a été surpris de savoir que mon père avait un médecin traitant, signalé et inscrit sur les documents officiels d’entrée. En revanche, nous ne sommes pas informés ni concertés pour toutes les décisions prises par le médecin. On apprend les choses par hasard, au détour d’une discussion par visio avec l’aide-soignant, l’infirmière, l’animatrice, etc. Mon père avait bon appétit, deux jours après, j’apprenais par hasard qu’il était passé en ‘’mouliné’’. Pourquoi ? Je m’inquiète donc, il a un appareil dentaire, l’hygiène est-elle respectée ? On a souvent des sons de cloches et des explications très différents selon la personne. 

Nous n’avons pas été informés de l’existence du Conseil de Vie Social. J’ai appris l’existence de celui-ci en échangeant avec des personnes sur le groupe Facebook du Cercle des Proches Aidants en EHPAD. J’ai donc contacté la direction de l’EHPAD pour avoir les coordonnées des représentants et connaître le fonctionnement. Actuellement, le CVS n’est pas actif. Un seul membre est encore présent. Je l’ai contacté et il m’a dit qu’il ne s’en occupait plus. Il souhaitait démissionner car l’avis des membres n’était de toute façon ni entendu ni jamais pris en compte. La directrice compte réorganiser ce CVS. Aucune date pour l’instant et aucune information sur le sujet. 

Depuis le 19 février 2021, les visites ont repris. Elles sont limitée à 30 minutes, par famille et par semaine ; 5 créneaux d’une demi-heure par jour : 15h/15h30/16h/16h30/17h. On peut constater que ces horaires ne sont évidemment aucunement adaptés aux gens en activité professionnelle. Les weekends sont évidemment très demandés et les plannings sont gérés à la semaine.

Du 28/12/2020 au 27/02/2021, je n’ai pu voir mon père qu’une fois. Mon père est sorti de son enfermement le 23 février 2021. 40 jours seul dans une chambre impersonnelle, sans activité aucune, sans voir le jour, le ciel, sans pouvoir faire une petite ballade, se dégourdir les jambes, sans voir sa femme et sa fille. 

Ma mère a pu le voir le lendemain et le dimanche 28 février 2021, 30 minutes nous a été octroyées à ma mère et moi en visite ‘’parloir’’ – un plexis entre nous, chacun à un bout de table : mon père a perdu des kilos, il est affaibli, amaigri et présente des œdèmes aux pieds et aux jambes. Il a des difficultés pour marcher et se déplacer. Cet après-midi, sa canne était inexistante et les soignants ne savaient pas où elle se trouvait. Ses troubles cognitifs se sont gravement accentués. Sa prothèse dentaire du haut a été retirée (il semblerait qu’il la retire). 

On vit de grands moments d’inhumanité, le traitement de nos ainés dans la France des droits de l’homme en dit long sur notre société. C’est purement scandaleux de traiter les gens ainsi. Nos ainés. J’ai honte d’être française. J’ai mal pour mon père et moi-même je glisse.

Corrine Léo

28 février 2021