Pandémie de la Covid-19 : quels nouveaux enjeux éthiques en 2021 ?

La crise sanitaire mais aussi humaine et sociale que nous traversons, a-t-elle généré de nouveaux questionnements éthiques pour les professionnels de santé ?

Parmi les sujets récurrents, fréquemment abordés dans les médias, on peut ainsi retrouver depuis quelques mois certaines questions itératives.

Les enjeux éthiques généraux qu’il a été urgent d’assumer

La question du « tri » des patients à l’entrée en service de réanimation a soulevé bien des commentaires et de craintes. Pourtant il y a bien longtemps que tout particulièrement à certaines périodes de l’année, la question se posait déjà au sein des équipes dans les services de réanimation et aux urgences. Ainsi en période de grippe saisonnière si meurtrière chaque année pour les personnes âgées, se posait, souvent un samedi soir de janvier, la question de choisir lorsqu’il n’y a plus qu’un seul lit disponible en réanimation, entre une personne âgée en détresse respiratoire, et un jeune homme gravement accidenté à moto sur le périphérique de Paris. 

Quelques réanimateurs « de terrain », peu nombreux il est vrai, ont évoqué sur les plateaux de télévision ce dilemme éthique qu’ils connaissent bien et depuis longtemps, et de leur façon de décider en équipe d’un choix toujours difficile.  

 

La question des transferts de patients lorsqu’un service est surchargé est posée tout autant depuis longtemps, mais loin des caméras et des effets d’annonce comme nous avons tous pu les voir au plus fort de la crise sanitaire du printemps, avec gros plans sur les avions, TGV et bus, emportant dans des régions lointaines moins concernées par le virus, les patients du Grand Est ou de l’Île de France.

Transferts au sein d’un même groupement hospitalier, transferts dans un département voisin, sont des pratiques habituelles lorsqu’une réanimation d’un hôpital ou un service des urgences n’a plus de place pour le patient « de trop ». Celui-ci attendra dans le camion du SAMU, soigné au mieux du possible par des équipes compétentes,  le temps qu’il faudra pour qu’un autre service de réanimation réponde qu’il peut le prendre.

Pourtant la question du transfert pose de bien nombreuses questions pour le patient concerné et ses proches. À l’inquiétude importante créée par la situation elle-même d’une santé lourdement défaillante, viennent s’ajouter les angoisses majeures de la séparation, de l’éloignement, de la solitude, de l’inconnu, frappant tout autant les personnes transférées qui ne sont pas toutes inconscientes loin de là, et leurs proches.

 

La question des déprogrammations d’opérations, d’examens diagnostics et de certains traitements, qui furent massifs au printemps, est aujourd’hui sous les feux médiatiques des médecins intervenant sur les plateaux de télévision et de radio, chacun s’accordant à dire qu’il s’agit là d’une incontestable perte de chance pour certains malades, et que les conséquences à retardement après la crise sanitaire en seront très lourdes.

Mais la déprogrammation n’est pas une nouveauté à l’hôpital et tout particulièrement la déprogrammation en chirurgie. C’est même un sujet de réclamations adressées aux chirurgiens ou aux directeurs des établissements sanitaires,  que les représentants des usagers qui siègent dans toutes ces structures retrouvent régulièrement dans les courriers des patients.

La situation la plus fréquente est le patient, laissé dans sa chambre depuis la veille à jeûne, avec l’annonce qu’un brancardier viendra le chercher à 8 h pour le « descendre au bloc ». Il regarde passer les heures, s’inquiète vers midi, parce qu’il commence à avoir faim, s’entend répondre qu’il y a eu une urgence cette nuit et donc qu’elle passe en priorité au bloc et que cela va bientôt être son tour. Puis il réinterroge vers 18 h lorsque le chariot des repas du soir passe dans le couloir parce qu’il a très faim, et s’entend répondre « je vais me renseigner, mais là je n’ai pas le droit de vous donner à manger, c’est écrit sur votre fiche » … un renseignement qui n’arrivera que vers 20 h au moment du changement d’équipe de la part d’une infirmière souriante qui s’exclamera : « comment ma collègue ne vous a rien dit ? L’opération est reportée à demain matin, il y a eu un problème au bloc, donc vous ne pouvez pas manger. Je vais vous donner un petit calmant pour que vous passiez une bonne nuit quand même ! ».

Déprogrammation, reprogrammation sont le lot fréquent des blocs opératoires en raison d’urgences arrivées qu’il faut glisser dans le planning, d’une mauvaise coordination des horaires des différents acteurs indispensables, chirurgien, médecin anesthésiste-réanimateur, infirmières de bloc, ou encore de l’absence de dernière minute de l’un de ces acteurs sans lequel l’opération ne peut avoir lieu.  

La différence pendant la grande vague de l’épidémie du printemps n’est que quantitative, les déprogrammations ayant été massives. Sur le fond, la question du respect du patient « qui attend », de son inquiétude, de son inconfort, de l’angoisse de ses proches qui appellent pour savoir « s’il s’est bien réveillé »… alors qu’il n’a pas quitté sa chambre, et les explications claires auxquelles il a droit, demeurent les mêmes quelles que soient les circonstances, et font partie du respect des droits du patients, de tous les patients.  

Enjeux éthiques en EHPAD

La question de la vaccination des résidents en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – existe, ou sans doute devrait exister depuis des années, et plus exactement la question de leur information loyale et compréhensible pour recueillir et pour chacun, leur accord éclairé à être vacciné. En effet, recueillir un accord est obligatoire dans la mesure où cette vaccination est précisément non obligatoire, mais seulement recommandée. Lorsque l’Assurance Maladie adresse à toutes les personnes de 70 ans et plus vivant à domicile, leur bon gratuit pour aller chercher leur vaccin contre la grippe saisonnière à la pharmacie, chacun conserve le droit d’aller le prendre ou non, et même si le vaccin attend sagement dans le frigidaire, de choisir de ne pas faire procéder à l’injection par une infirmière ou le médecin traitant.

En EHPAD, lieu de vie où résident majoritairement des personnes de plus de 85 ans, atteintes de troubles de la mémoire et pour la moitié d’entre elles de troubles cognitifs sévères, se pose donc la question à la fois juridique et éthique de la validité du consentement de ces résidents. Concernant ces personnes vulnérabilisées par l’âge et les troubles cognitifs, il semblerait d’ailleurs préférable de parler plutôt d’une information adaptée à leurs capacités de compréhension, qui ne concerne d’ailleurs pas seulement leurs éventuels troubles cognitifs, mais aussi leurs difficultés linguistiques lorsqu’elles sont d’origine étrangère, ou leurs handicaps visuels et auditifs. Il conviendrait alors de recueillir leur avis de non-opposition plutôt que d’un « consentement éclairé » inadapté, et de s’entourer de l’avis de l’équipe lui apportant soins et aides, ainsi que de l’avis de ses proches, dans un cadre respectueux et apaisé, cette démarche collégiale étant portée par un objectif de bienfaisance. Et pour tenir compte des troubles de la mémoire récente dont souffrent la grande majorité des résidents, il conviendrait aussi de permettre aux personnes accueillies en EHPAD d’exprimer une nouvelle fois leur accord ou leur refus, au dernier moment c’est à dire au moment de l’injection.

 

Cette question de recueillir l’accord de la personne concernée se pose ou devrait se poser depuis des années dans tous les EHPAD au sujet de la vaccination contre la grippe dite saisonnière qui, si elle est gratuite, n’est pas plus obligatoire que la nouvelle vaccination contre la Covid-19. Des articles et des recommandations ont été publiés sur ce sujet éminemment éthique de l’accord du patient vulnérable résidant en établissement d’accueil. Mais qui en avait entendu parler jusqu’à cette pandémie, alors même qu’ils ont été déclarés prioritaires pour bénéficier très prochainement de ce tout nouveau vaccin ?

Mais encore, est-il éthique de procéder depuis déjà quelques années à une vaccination antigrippale saisonnière systématique pour ne pas dire obligatoire des résidents en EHPAD alors que seule une minorité des personnels de la structure accepte de se faire vacciner ? En effet, selon différentes études, entre 25 et 40% des professionnels soignants seraient eux-mêmes vaccinés contre la grippe saisonnière. Qu’en sera-t-il pour cette vaccination contre la Covid 19 qui soulève bien plus d’interrogations médiatisées, et qui, en raison du nombre restreint de doses dont nous disposons, réserve aux seuls professionnels de santé, eux-mêmes vulnérables du fait d’une pathologie chronique, à pouvoir être vaccinés dans la 1ère vague de la campagne ?

Pour certains apparaît aujourd’hui la résurgence d’une bien ancienne valeur éducative tombée en désuétude qui est la valeur de l’exemple, afin de relancer la confiance envers la vaccination. Ainsi le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministre des Solidarités et de la Santé sont régulièrement interpellés pour savoir s’ils seront les premiers vaccinés sous l’œil des caméras !

Plus modestement, dans les EHPAD, il conviendrait très probablement que le médecin coordonnateur,  l’infirmier(ère) cadre de santé et tout le personnel soignant et non-soignant soient vaccinés devant les résidents, dans un élan de solidarité et de justice répondant à un objectif éthique du « je me protège et je te protège ».  

 

Au final, la seule nouveauté des questions éthiques et sociétales liées à cette pandémie nouvelle demeure dans le champ du confinement et de l’isolement volontaire des personnes, dans le double objectif de diminuer le risque d’être contaminé par le confinement, et de diminuer le risque de contaminer par l’isolement lorsqu’on est testé positif au virus.

Dans ce domaine, les questions sont nombreuses, en tout premier celles de l’évaluation objective des bénéfices/risques ou avantages/inconvénients du confinement, pour chacun individuellement et pour la société collectivement. Les quelques études publiées sont si contradictoires, les prises de parole politiques et sanitaires si incohérentes, qu’il est probable que nous mettrons quelques années à porter un jugement éclairé sur ces mois de confinement imposé au cours de l’année 2020, et qui ont bouleversé nos vies.

Des adaptations aux règles sanitaires strictes instituées par le Ministère de la Santé pour le confinement des personnes accueillies dans les EHPAD et en USLD – Unités de soins de longue durée dans les hôpitaux – ont été publiées à l’occasion des fêtes de fin d’année. Ainsi, la sortie des résidents dans leur famille, ont été rendues possibles.  Les conditions imposées au retour dans l’institution en sont tellement dissuasives, qu’on ne peut pas penser qu’il s’agit là d’une « avancée » de la liberté, humainement acceptable.

Ainsi un EHPAD écrit aux familles de ses résidents : « À leur retour dans l’établissement, dans tous les cas de sorties (quelques heures, un jour, plusieurs jours) le résident sera confiné strictement en chambre durant 7 jours afin de limiter tout risque de contamination et ce jusqu’au résultat de son test RT-PCR qui sera réalisé à J+6 de son retour ».

Quelle famille aimante va oser exercer ce « droit » en proposant à son proche de venir passer l’après-midi de Noël avec les siens, sachant qu’il le paiera du prix terrible d’un « strict confinement en chambre » pendant 7 jours ? Un tel confinement a été appliqué dans tous les EHPAD durement touchés par de nombreux décès au cours de la première vague de la Covid-19 du printemps, et chacun, médecins ou familles, a pu en constater les ravages physiques et psychiques qu’un tel enfermement a provoqué chez les résidents survivants non contaminés ou ayant fait une forme bénigne de la maladie virale.

Ce qui est certain, c’est que ni l’âge, ni les troubles de la mémoire, ni un éventuel diagnostic d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, ne doivent faire présupposer que la personne est automatiquement incompétente à donner son accord ou à refuser, que ce soit une visite, une sortie ou une vaccination.

Le principal danger éthique demeure, pour les professionnels des établissements pour personnes vulnérables comme pour les familles, que leur accord ou leur refus soit automatiquement considéré comme valide lorsque cet avis vous arrange, et qu’il soit automatiquement non valide chaque fois qu’il vous dérange.

Catherine Ollivet

Présidente de France Alzheimer 93