Pandémie et éthique journalistique

Les mass media, français en tous les cas, couvrent-ils ce que nous pourrions appeler le « quotidien de la pandémie » due au coronavirus, de la meilleure façon ? Bousculée par le contexte sanitaire, politique, économique et social, l’éthique journalistique semble mise à mal alors que face à l’événement inédit que nous vivons, l’information du public est essentielle. Les médecins ont envahi les écrans et les ondes, les journalistes se sont mués au mieux en animateurs et les politiques font de la communication et pas beaucoup de politique. Le président de la République, Emmanuel Macron, n’échappe pas à la règle comme en témoigne le ton martial de son intervention du 16 mars 2020 où il n’a répété pas moins que six fois « Nous sommes en guerre ». Quelques jours plus tard, le 13 avril 2020, dans une nouvelle intervention, le ton est plus « intimiste », plus proche des gens, mais la politique toujours aussi absente : 36 millions de téléspectateurs – un record absolu – ont eu le droit à un « magma de com’ » englobant deux ou trois informations majeures comme la date du début du déconfinement, le 11 mai, l’impérative nécessité pour chaque Français de se procurer « un masque grand public », l’annulation de la dette des pays africains, etc. Ce discours « à la façon des populistes » pour être mieux entendu peut-être, n’aura sans doute pas fait changer d’avis les Français qui jugent sévèrement la communication de l’exécutif depuis le début de la crise sanitaire. Rien n’est fait pour rassurer et surtout ce qui passe en boucle sur les chaînes d’information en continu, engendre plus d’angoisse encore dans une population dont une grande partie vit le confinement comme une épreuve.

Le dogme l’emporte sur la raison

Ici le dogme qu’il soit social et économique, médical et scientifique – rassurons-nous, le dogme religieux est lui aussi omniprésent –, l’emporte sur la raison. Oubliées la science et les technologies du XXIe siècle, perdu le sens critique, mises entre parenthèses la démocratie et la démocratie sanitaire – où sont passées les associations de patients ? Il ne faudrait cependant pas croire qu’on entend qu’une seule voix, qu’un seul « son de cloche » ! Ce qui fait la grandeur de la démocratie, le débat d’idées a été remisé au placard. Plus personne n’écoute personne : chacun est sourd et aveugle et se révèle dans l’incapacité d’accueillir l’Autre. Le patronat veut que l’économie reparte, les syndicats de salariés font de la sécurité sanitaire leur nouveau cheval de bataille, le gouvernement souhaite que les Français puissent sortir masqués – mais comme il est impossible de trouver un masque efficace contre le virus, ils pourront toujours se laver les mains –, les oppositions s’opposent estimant que tout ce qui est fait par le pouvoir ne va pas dans le bon sens ou que les décisions auraient dû être prises bien avant, etc. Paradoxalement pourtant, la liberté d’expression qui nous est si chère, est mise à mal. Une cacophonie, dangereuse, envahit, sans véritable contrôle, les écrans de télévision et les ondes.

Un « singulier pluriel » source de confusion

Quand ils ne se contentent pas d’être des « passeurs de micros » – une tâche certes délicate techniquement en ces temps de confinement où leurs interlocuteurs ne sont pas dans le studio –, les journalistes des médias audiovisuels dont le travail est juste… d’informer, paraissent pris dans le tourbillon. Ils sont, trop souvent, devenus des « relais de communication ». Ils n’ont plus aucun recul sur ce qui se dit et qui est proposé ex abrupto au public. Comme le disait déjà si justement Jean Bothorel en septembre 1991 dans la Revue des deux mondes, « les médias sont devenus les agents du conditionnement social, les relais de tous les pouvoirs ». Rien n’aurait changé depuis trente ans ? Si. Aujourd’hui, les journalistes cherchent à se dédouaner en invitant des spécialistes, des experts, à s’exprimer devant leur caméra, à leur micro. À l’exception des éditorialistes, ils ne prennent plus le risque d’affirmer ce qu’est leur « vérité », une vérité qui, bien évidemment, ne saurait être absolue. Ils se confinent – on me pardonnera – dans cette fonction de médiateur. Or ceux qui les écoutent et les lisent ont besoin de bien plus que d’entendre, brut de décoffrage le plus souvent ou, pire, redigéré parfois, un message officiel, celui des dirigeants et de la gent politique bien sûr, mais aussi celui de la Médecine, de la Réanimation, de la Virologie ou de l’Infectiologie – avec des majuscules bien entendu puisqu’elles se veulent uniques. Ce message cependant est bel et bien multiple et cet obscur « singulier pluriel » source de confusion. Le tout devient vite inaudible et participe, ô combien, à la perte de crédibilité des élites.

Mettre en exergue « ce qui va bien »

Faut-il pour autant abandonner les mass media et se tourner vers les réseaux sociaux ? Non même si l’on pense être capable de faire le tri entre le vrai et le faux, l’info et l’intox. En fait, il faut regarder les réseaux sociaux et prendre ce qu’on y trouve avec des pincettes. Une partie importante du grand public a pourtant tôt fait de s’enthousiasmer pour le discours de tel ou tel, de signer toutes les pétitions et de liker tout et surtout n’importe quoi. Cela permet l’émergence des rumeurs et des fausses nouvelles, les trop fameuses fake news. Il est parfaitement vain de démentir tout ce qui est à l’évidence – ou pas – pour le moins une transgression de la vérité. Ceux qui s’y risquent se font honnir quand leurs contradicteurs ne les accusent pas de complotisme. Le problème avec les réseaux sociaux est bien qu’ils ont une force de frappe sans équivalent. Ils sont devenus le canal de communication privilégié de tous les gourous. Un message ne passe pas à la télévision ? Diffusé sur You Tube, il devient viral. L’irrationnel l’emporte alors que le monde entier fait face à une crise sanitaire si importante. C’est ce qui doit nous inquiéter le plus. N’est-il pas en effet porteur de faux espoirs à un moment où justement nous avons tous besoin de croire en des lendemains plus prometteurs ? Et là encore, il ne suffit pas d’annoncer des « coups de pouce » aux familles, aux salariés, au entrepreneurs, petits et grands, des primes aux soignants, etc. Il faut aussi mettre en exergue « ce qui va bien » : la solidarité entre voisins qui existe et qui même s’est souvent renforcée, les travaux des chercheurs qui permettent d’espérer des traitements, un vaccin contre le virus et si on prend les chiffres donnés tous les soirs par le directeur général de santé, le Pr Jérôme Salomon, le nombre de personnes qui sont « sorties d’affaire ».

Notre démocratie a besoin d’une information responsable

Que nous apprend cette « gestion » de la crise par les mass media et par les réseaux sociaux ? Que rien n’est tout noir ni tout blanc. Quelques rares journalistes – et parmi eux des journalistes « santé » qui, heureusement peut-être, ne sont pas médecins et n’ont pas la science infuse – font leur travail, c’est-à-dire vont à la recherche de l’information et la délivrent avec une formidable honnêteté. Ils expliquent qu’en santé, il n’y a pas une vérité, mais des vérités. Ils n’hésitent pas devant cette relativité de la vérité médicale à dire « on ne sait pas » ou parfois « je ne sais pas ». Ils peuvent ainsi ouvrir des portes sans les refermer ce qui est signe de responsabilité. Et c’est bien d’une information responsable qu’a besoin notre démocratie, une information qui rassemble dans une épreuve inédite, une information qui sache, éthiquement autant que déontologiquement, accueillir l’Autre pour qu’en tout égalité, puisse se manifester cette fraternité sans laquelle il n’y a pas, il n’y aura plus, de liberté.

Marc Horwitz

Directeur de l’agence Santé & Mobilité.