Quand une crise sanitaire peut devenir une opportunité sociétale ou une nécessité politique

Cette crise n’était pas une guerre

Depuis des mois, politiques, administratifs, scientifiques, personnalités diverses, sociologues, médecins, syndicalistes, journalistes, et tant d’autres, participent à un grand débat public spontané, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, en donnant leur point de vue, plus ou moins bien argumenté, convergents ou non, sur la crise actuelle et sur notre système de santé, cherchant parfois à mettre en avant telle ou telle responsabilité dans les imprévus et les dysfonctionnements, qui n’ont pas manqué depuis le mois de janvier. Ces avis ne seront utiles que s’ils préfigurent une réflexion collective, non contrainte, ouverte, organisée et bienveillante.

Les hôpitaux, placés au cœur de la prise en charge des patients, se sont réorganisés, avec une efficacité et une rapidité qui témoignent avant tout de la solidité de nos infrastructures, de nos personnels et des compétences de l’ensemble des acteurs, soignants ou non, qui forment ce système de santé hospitalier. Lorsque nous serons à même de faire le bilan de cette période, nous verrons probablement que la solidarité, l’inventivité, le sens des responsabilités auront joué un rôle essentiel dans la gestion de la crise. Les gouvernances de nos structures hospitalières, au niveau des directions générales, des directions d’établissements ou au niveau des responsables des unités et des services, auront été essentielles dans la mise en œuvre des décisions appropriées pour faire face à un afflux rapide de patients, d’une typologie inhabituelle.

Cette crise n’était pas une guerre, les soignants n’étaient pas des héros, et les applaudissements quotidiens pour saluer leur travail posent question. Les personnels impliqués, qu’ils soient soignants ou non, ont tous fait consciencieusement leur travail du mieux qu’ils pouvaient. La pénurie d’éléments de protection individuelle des soignants exposés restera un sujet à investiguer.

 

De la crise de l’hôpital public à la crise sanitaire du Covid-19

Pour restreindre le sujet à l’hôpital public, cette crise n’est pas arrivée dans une période sereine, caractérisée par un fonctionnement optimal de nos structures. Elle est arrivée au pire moment, après un an d’un mouvement social de l’ensemble des personnels soignants qui ont mis en avant, chacun avec ses moyens et son énergie, la grave crise de l’hôpital public qui s’amplifie d’année en année. Dans nos hôpitaux, on ne comptait plus les banderoles « en grève, mais on vous soigne », on se souvient des manifestations de rue qui avaient réuni un nombre très élevé de participants largement soutenues par la population, avant d’être englobées dans un mouvement plus large contre la réforme des retraites. On ne reviendra pas sur les répressions, parfois violentes, qui ont émaillé ces mouvements, les mesures annoncées qui ne correspondaient pas aux revendications des soignants, les communications maladroites, et tous ces éléments qui, symboliquement, ont joué un rôle aggravant dans la crise. On se souviendra également qu’il y a juste quelques mois, des centaines de responsables soignants avaient démissionné de leurs responsabilités administratives afin de protester contre la pénurie de moyens au sein de nos hôpitaux et contre la gestion administrativo-financière quasi exclusive des établissements.

Une fois la crise sanitaire évaluée à sa juste valeur, début mars, les personnels de nos hôpitaux ont tous réagi avec un sens du devoir parfaitement adapté. On pourra s’interroger sur les raisons de la perception retardée de l’importance de cette crise dans de très nombreux pays, alors que nous aurions dû nous préparer dès janvier 2020. Nous nous sommes tous trompés et avons tous, ou presque, minimisé l’impact de ce virus. Il est difficile à ce jour de savoir clairement si nos dirigeants avaient eu des informations fiables sur l’ampleur de ce qui allait se passer. Quoi qu’il en soit, comme dans de nombreux pays, une fois la crise sanitaire débutée, tous se sont mis à organiser, dans nos hôpitaux, en urgence, les mesures nécessaires à sa gestion, en prenant en compte les diverses pénuries existantes, les problèmes auxquels nous allions devoir faire face, la nécessaire priorisation des équipements et des personnels et le besoin de trouver localement des solutions. Les communications nationales souvent maladroites, parfois mensongères (sur l’utilité et la disponibilité des masques, les sorties culturelles encouragées au plus haut niveau de l’État début mars, le maintien des élections municipales, etc.) ne nous ont pas vraiment aidés localement, mais nous pouvons comprendre que la situation particulièrement évolutive, nécessitant des ajustements quotidiens, a été une situation de crise sanitaire inédite. De nombreux sujets éthiques ont surgi quotidiennement sur les soins, la recherche, l’organisation de la société, la vie de nos aînés.

L’hôpital public face au Covid-19, ou comment les compétences locales sauvent des vies

Dès la fin du mois de février, et avant même la décision politique d’un confinement, tous les personnels soignants des hôpitaux s’étaient réorganisés pour se préparer à l’arrivée massive de patients aux urgences, dans des lits de médecine, en chirurgie ou en réanimation. Les polémiques concernant les recommandations et les obligations, émanant de l’État ou des administrations générales, n’ayant finalement eu que peu d’effet chez les soignants sur ce qu’il convenait de faire. On remarquera qu’ils ne sont jamais interrogés sur la nécessité du port du masque et des autres gestes barrières, sur les risques d’aller voter lors du premier tour des municipales, ou d’aller au théâtre par exemple.

On a pu constater dans nos établissement la capacité d’agilité, d’inventivité, de réactivité dont ont fait preuve toutes les équipes afin de parvenir à s’adapter à la situation infectieuse et à la prise en charge des patients.

La société civile a également joué un rôle clé dans la gestion de cette crise à l’hôpital grâce à des initiatives citoyennes si nombreuses qu’on ne peut pas toutes les citer (masques, solutions hydro-alcooliques, équipement médical, informatique, restauration, système de protection du personnel, mobilités…). L’impact de ces initiatives, qu’elles viennent d’individus, de petites ou grandes entreprises, d’associations, d’étudiants, de collectivités locales a joué un rôle essentiel dans la gestion du quotidien de nos activités et dans la réussite de la diminution du nombre de patients hospitalisés. Encore une fois l’agilité, la compétence de terrain, l’esprit d’équipe, le système D ont été les meilleurs atouts dans la gestion initiale de la crise.

 

Pour un grand débat national sur le système de santé

Alors n’est-ce pas le bon moment pour entreprendre un grand débat citoyen sur le système que nous souhaitons tous collectivement et sur les moyens que nous pensons devoir lui consacrer. Ce débat ne peut pas être, comme cela a si souvent été le cas, un faux-semblant de participation, entre des acteurs issus d’horizons si différents. Nous assistons en direct à ces débats qui mettent en évidence de nombreuses divergences et la majorité d’entre eux cherche à démontrer la responsabilité de l’autre.

C’est ainsi que l’ensemble du circuit de la prise de décision est bloqué par un système à bout de souffle. La crise de confiance envers les dirigeants était bien présente avant cette crise et la communication sur les masques, les tests, le premier tour des municipales et tant d’autres sujets aura encore aggravé ce manque de confiance qu’il est urgent de restaurer.

Nous travaillons tous avec notre référentiel que l’on appelle maintenant « la zone de confort », sans essayer de partager cela avec les autres. Nous restons si longtemps sur nos positions que l’on a souvent dit que les politiques étaient coupés de la France, que les experts n’étaient plus sur le terrain depuis fort longtemps, que les administratifs ne connaissaient pas la réalité du travail de terrain, et on pourrait ainsi citer toutes les catégories professionnelles. Heureusement, lors d’un grand débat, les avis seront divergents afin que puissent naître des options réalistes, mesurées, pragmatiques, performantes, hors de tout dogmatisme castrateur d’idée. Cette crise aura été l’occasion de mettre en avant ce qui est utile dans le fonctionnement de nos établissements, ce qui l’est moins et ce qui n’est que délétère ou bloquant.

 

Cette crise sanitaire, sociale et politique arrive à un moment charnière de nos sociétés. En prendre conscience et chercher à faire évoluer nos choix sera un acte volontaire et courageux. Il serait si facile de ne rien changer, de ne pas se mettre en question, et de rester dans notre zone de confort, alors osons réinventer.

Nous avons ce choix et nous ne pouvons pas laisser passer ce temps du moment opportun, le kairos si justement évoqué par notre collègue neurologue, François Salachas, devant le président de la République le 27 février 2020.

Franck Semah

PU-PH, chef de pôle au CHU de Lille.