Significations humaine, sociale et politique du 1er mai en temps de pandémie

Il y a quelques jours Le Parisien rendait hommage à « ces soignants morts sur le front de l’épidémie ». Même si le nombre de ces « morts du Covid-19 » n’est pas encore officiellement communiqué, à ce cortège de « soignants » connus ou anonymes s’ajoutent ces autres professionnels de notre quotidien eux aussi soucieux du bien public, au point d’y risquer leur santé et leur vie.

Ce 1er mai leur est dédié. Leur lutte pour nous, témoigne d’un esprit d’engagement et d’un attachement au bien commun dont notre démocratie peut s’honorer. Comme chacun d’entre nous, je pense à eux et à leurs proches aujourd’hui. L’exemplarité dans l’exercice de missions urgentes et indispensables pour contrer la pandémie au plus près et souvent à mains nues, est d’une nature exceptionnelle. Évoquer aujourd’hui cette conscience de l’intérêt général à laquelle on ne renonce pas, c’est comprendre la valeur et le sens d’un travail trop méconnu qui soudain trouve sa dignité en même temps qu’une visibilité.

Ces rendez-vous d’applaudissements à 20h en hommage à ces soignants des champs de  la santé, du social, de nos entreprises et de l’administration devraient laisser place ce soir à l’émotion de notre deuil collectif. Je penserai à ces « morts au combat », mais aussi à ces autres combattants contre le coronavirus, nos malades et nos aînés, qui n’ont pas survécu ; à ceux qui les pleurent parfois dans l’isolement du confinement, désespérés de n’avoir pas pu accompagner leur derniers instants.

La pandémie a dévoilé, sans qu’on s’y soit préparé, les désastres de nos fragilités humaines et sociales. À la résignation ou à la déploration, certains, parmi nous, ont préféré affronter les menaces, faire face en mobilisant au-delà de leurs compétences une capacité et une intelligence de l’action. Ils ont éclairé un cheminement incertain, escarpé, jonché de risques imprévisibles et de menaces vitales. En quelques jours, malgré la sidération, l’effroi et cette sensation de la mort si proche et d’une déroute sociale inévitable, leur conviction était « Oui, nous pouvons ! ». Ils l’ont rendu possible parce qu’ils y ont consacré ce qu’ils avaient de plus précieux, parfois au prix de leur santé, voire de leur vie. Nous leur devons cette prise de conscience que nous le pouvions également, chacun selon ses capacités qui se sont souvent révélées, elles aussi, inédites et parfois exceptionnelles.

J’ignore ce que les moralistes sauront penser plus tard de ces semaines de luttes terrifiantes, douloureuses, épuisantes et même destructrices. Certains discutent déjà le choix politique d’avoir privilégié les exigences de la vie sur les contraintes économiques. Quelque puisse être sont coût en termes de dette publique, cette liberté d’arbitrer ainsi, par fidélité à nos valeurs démocratiques, a préservé le pacte de solidarité indispensable à la cohésion de la nation. Je rends hommage à nos responsables politiques d’avoir eu le courage de l’assumer.

Mais il a été d’autres arbitrages tout aussi précieux aujourd’hui et pour l’avenir. Ces professionnels, militants associatifs ou citoyens engagés pour contrer la pandémie, ont eux aussi fait le choix de la démocratie. De l’atelier de confection de masques aux soutiens scolaires, de la préparation de paniers repas au soutien des personnes en situation de précarité, la lutte s’est engagée sur tous les fronts en référence à ce qui nous est essentiel et qui nous est commun.

Travailler pour la démocratie en ces moments de notre histoire qui déterminent son devenir, c’est conférer une signification politique à cet exercice pratique de nos responsabilités partagées. La pandémie dont nous avons éprouvé ces dernières semaines les effets précurseurs et cette sourde violence qui fragilise nos certitudes, impose la lucidité d’un autre constat ce 1er mai. Cette « fête du travail » est d’une étrange tonalité qui impose la distanciation, je veux dire une capacité de pensée et de discernement renforcée, si nécessaire, par ces temps de confinement. Nous avons œuvré ensemble pour atténuer, autant que faire se pouvait, les impacts de la pandémie, là où elle menaçait la vie de la nation. Il nous faut maintenant travailler ensemble à préserver cette cohésion sociale qui a démontré sa valeur, sa force et sa vivacité. Projet de société d’autant plus concevable et réaliste que la démonstration est désormais faite qu’il est possible. N’est-il pas plus juste considération témoignée à l’esprit du 1er mai et plus bel hommage que nous devons aux « morts du Covid-19 » ?

Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay Fondateur du site ethique-pandemie.com