Nous n’existons pas…

25 septembre 2020

Droit de visite en mode carcéral

Ce soir, je suis fatiguée, écœurée, culpabilisée, triste, en colère, impuissante… Alors, j’écris. Je ne sais pas encore à qui je vais envoyer cette lettre, mais il faut que je dise, que j’exprime, que je me libère (enfin, j’espère), que je fasse quelque chose sinon ça va être la dépression…

J’ai rendu visite à ma mère cet après-midi dans sa chambre, dans son EHPAD. Elle y est depuis novembre dernier. 

Même si les visites sont plus libres après d’interminables mois de séparation, suivis de droit de visite en mode carcéral puis de visites libres dans les chambres, même si les horaires « d’avant » ne sont toujours pas remis en place, nous, les familles avons une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes et on nous la fait bien sentir, je vous l’assure. 

Depuis début mars 2020, soit il y a 7 mois, les familles n’ont toujours pas le droit de toucher leur parent (distanciation sociale) ni de les embrasser, ni de les masser, ni de les habiller, rien… 

Les familles sont régulièrement montrées du doigt comme étant celles par qui le virus est ou pourrait entrer dans l’EHPAD. Il y a ceux qui répondent à nos questions par des « fallait réfléchir avant d’abandonner votre mère dans un EHPAD… », il y a ceux qui disent « révoltez-vous, défendez vos parents !… », d’autres qui rappellent sans cesse « que les familles ne respectent pas le protocole de visite, qu’elles sont irresponsables… ». Bref, la famille a plus souvent tort que raison et n’a pas de soutien ni de reconnaissance, ni de la part de la société en général, ni des administrations, ni de l’ARS dans les difficultés, les douleurs vécues ces derniers temps. Alors même que les familles pourraient être un énorme soutien auprès du personnel épuisé, en sous-effectif (et c’est bien là le vrai problème), sous pression depuis … avant le confinement déjà… Mais il faudrait nous faire confiance, nous inclure dans les cercles de prises de décisions ce qui n’est absolument pas le cas. 

Comment dois-je faire puisque je n’ai pas l’autorisation de la prendre dans mes bras pour la consoler ?

Alors moi je demande : comment dois-je agir lorsque ma mère pleure devant moi cet après-midi parce qu’elle ne peut plus écrire, qu’elle ne peut plus se retourner seule dans son lit, qu’elle n’arrive plus à jouer à la belote parce qu’elle a oublié les règles, qu’elle ne participe plus aux activités, qu’elle ne peut quasi plus marcher, qu’elle perd l’appétit, qu’elle oublie les mots et qu’elle se rend compte de tout cela. Bref, que son état se détériore à la vitesse grand V depuis et après le confinement (petit rappel : plus de 3 mois d’enfermement, d’isolement dans sa chambre, repas compris, sans activité, sans visite, un mois sans séance de kinésithérapie ; un rendez-vous pris en urgence en juin dernier avec son neurologue pour d’abord avril 2021 puis, après avoir insisté janvier 2021 puis, en cherchant ailleurs en octobre 2020). 

Comment dois-je faire puisque je n’ai pas l’autorisation de la prendre dans mes bras pour la consoler ? Parce que si je la prends dans mes bras, je suis une « mauvaise citoyenne » ou une « irresponsable » qui fait prendre des risques à sa mère et aux autres résidents. Mais si je ne la prends pas dans mes bras, je suis une « mauvaise fille » parce que je laisse ma mère souffrir sans la consoler. Alors, cet après-midi, quand maman a pleuré, je n’ai pas su quoi faire, prise entre deux injonctions contradictoires d’une puissance inimaginable… Je suis coincée, pas d’issue…

Madame, Monsieur, je vous le demande : que dois-je faire quand maman pleure ainsi devant moi de désespoir, de peur ? 

Nos parents n’ont-ils donc plus le droit de vieillir et de mourir entourés et soutenus par leur famille, d’être choyés ? 

Madame, Monsieur, je vous le demande : comment puis-je accompagner ma mère dans ces conditions ?

Je n’attends rien de vous, je n’y crois plus. J’ai simplement besoin de témoigner de l’impasse dans laquelle des milliers de personnes comme moi sommes actuellement avec nos parents. Le temps presse, beaucoup de nos ainés sont très affaiblis, mais soyez fiers de vous, ils ne mourront pas de cette épidémie qui vous rend tous fous, ils vont mourir dans les mois qui viennent de toutes les conséquences de vos directives administratives, sans humanité.

 

9 février 2021

Son choix n’a pas été libre mais lourdement orienté

Ma maman survit dans un EHPAD à Gerbéviller. Moi, sa seule fille, suis depuis des mois interminables interdite d’approcher ma maman, interdite de consoler ma maman,

interdite de toucher ma maman. Je n’ai que le droit d’assister à son déclin rapide et inéluctable par manque d’humanité, de relations familiales (elle a eu le droit de voir ses petits enfants en juillet, puis en décembre), de stimulations.

 

Concernant la vaccination, les consignes ont été : un choix librement consenti.

Maman était hésitante mais les visites (très) répétées de son médecin traitant, les « conseils » répétés toujours dans le même sens du personnel soignant depuis de longs mois (cet été déjà, il lui a été tellement dit que grâce au vaccin tout allait rentrer dans l’ordre) ont lassé, fatigué cette vieille dame qui n’en peut plus d’être enfermée, éloignée des siens. Elle a cédé à la pression environnante. Je considère donc que son choix n’a pas été libre mais lourdement orienté. Un choix libre est : je pose la question, la personne me répond, je prends note et respecte son choix.

Un choix éclairé : personne ne pouvait donner les informations éclairées concernant ce vaccin car, dans un premier temps, il ne s’agit pas d’un vaccin donc tout ce qui en découle n’a jamais été un choix éclairé.

Je tiens à préciser que je ne suis pas anti-vaccin. Je souligne comment la direction de l’EHPAD fanfaronne que 90 % de ses résidents sont « vaccinés » tout en ne révélant pas le pourcentage de vaccinés au sein de son personnel, tout en maintenant et même renforçant les conditions de « visite » auprès de nos parents. D’ailleurs, un petit vent léger mais assez persistant commence à souffler doucement pour que les familles soient vaccinées pour pouvoir délivrer nos parents…. Rumeur ?

Ce que maman subit, ce que je subis au nom de je ne sais plus quoi

Aujourd’hui, après les 2 injections, maman est toujours enfermée. Nos visites de 30 minutes (oui, 30 petites, ridicules minutes), sur rendez-vous (je dois demander chaque semaine à la secrétaire le créneau qu’elle a le libre choix de m’attribuer) sont toujours difficiles et inhumaines :

– masquées ;

– une table de 2.50m entre nous ;

– une plaque de plexiglas sur cette table ;

– surveillées.

 

Maman ne me comprend pas, plus. Je dois parler très fort pour communiquer avec elle donc, aucune intimité possible. La surveillante m’a proposée (avec le sourire et gentillesse) d’utiliser le téléphone mis à disposition par la gentille et compréhensible direction de cet établissement pour parler à maman. Je m’y refuse, je veux parler à ma maman, directement, humainement. Le sourire et la gentillesse de cette femme m’irrite au plus haut point parce qu’elle ne fait que me faire ressentir que je suis interdite de relation vraie, que je suis dans un parloir carcéral alors que je viens tout simplement voir une personne que j’aime : ma maman.

Et puis, les gestes attentifs du personnel me mettent dans des états émotionnels de plus en plus difficiles entre douleur, colère et incompréhension.

Qu’a donc cette soignante que je n’ai pas pour qu’elle puisse toucher ma maman qui pleure quand nous devons nous quitter ? Pourquoi sa main à elle n’est pas dangereuse pour ma maman alors que la mienne, désinfectée à mon arrivée (soit 30 minutes), l’est ? Pourquoi cette soignante peut parler à l’oreille de ma maman pour la rassurer alors que le matin même elle a probablement embrassé ses enfants, son mari ? Pourquoi mon souffle derrière mon masque est dangereux alors que je vis seule, ne voyant quasi personne pendant des journées entières ?

Pourquoi maman (qui ne peut plus prendre sa douche journalière du fait de son déclin) n’est douchée qu’une fois par semaine par manque de personnel, alors que je pourrais moi aussi, en suivant les consignes, lui permettre de se laver plus souvent ? : elle est incontinente, elle fait sa toilette au lavabo seule mais il est évident qu’elle doit avoir des douches plus fréquentes, que sa toilette est partielle.

Pourquoi, quand je viens en « visite » et que j’apporte des gâteries, des objets à maman le personnel regarde ce que j’amène ? Où est mon intimité, l’intimité de maman ? Qu’il prenne le sac, point. Je ne supporte pas les petites remarques de type : « ah ! vous avez encore apporté des affaires à votre maman… » Et bien, oui. J’apporte à chaque fois quelque chose à maman parce qu’elle s’ennuie dans sa chambre, qu’elle a besoin d’occupations et qu’il n’y en a pas suffisamment (je ne parle des animations mais bien d’occupation).

Et j’arrête là parce que je pourrai écrire des pages complètes sur ce que maman subit, ce que je subis au nom de je ne sais plus quoi. Les jours, semaines, mois passent. Les conditions de vie, survie, visite ne bougent pas… Vaccinée, rien ne change. Combien de temps cela va-t-il durer ?

Dans l’espoir que vous aurez pris le temps de lire jusqu’au bout ce courrier, dans l’espoir que nous puissions retrouver nos parents, ceux qui sont encore en vie, qui ont survécu à l’isolement carcéral qu’ils subissent depuis des mois, dans l’espoir que plus jamais cela ne se reproduise.

10 mars 2021

Nous n’existons pas…

Aujourd’hui, 10 mars 2021, aucun changement dans le protocole de l’EHPAD. 90 % des résidents ont reçu la seconde injection du vaccin début février soit 1 mois… et ce, malgré les déclarations du Gouvernement. Je désespère.

Comme d’habitude, pas de communication de la direction pour rassurer les familles du type : nous avons bien pris note des nouvelles directives, nous y travaillons afin de nous organiser d’ici 1 semaine, 15 jours, 3 semaines… Ou nous ne changerons pas le protocole actuel car…

Mais rien, comme toujours, rien pour pouvoir se projeter, se raccrocher, pas de date, pas d’information, rien… nous n’existons pas. Aujourd’hui, c’est l’angoisse, c’est l’attente du prochain courrier de la direction quand elle aura envie, aucune information sur ce qu’il va se passer ou pas, je n’en peux plus.

 

Je précise que le Conseil de Vie Social n’a jamais contacté les familles durant toute cette période. Il y a un vrai problème là aussi. Les familles sont isolées, ne se connaissent pas ou peu et ne peuvent donc pas fédérer pour faire contre poids en face des administrations.

Christine Borde