Vaccination : ne nous laissons pas submerger par la complexité bureaucratique

L’arrivée de vaccins contre la  Covid-19 est révélateur de la société française, de son administration et de son mode de gouvernance. Nous avons un plan clair, on sait où sont les priorités, qui sera vacciné et on vérifie qu’il n’y a pas de blocage avant d’avancer en s’assurant du consentement. Tout cela est parfaitement rationnel et doit en théorie rassurer les Français que l’on compte parmi les plus hostiles à la vaccination.
Alors que plus de 2 millions d’Américains, près de 100 000 d’Allemands sont déjà vaccinés, la France entame prudemment son parcours de vaccination. Sont-ils à ce point insensés ou le sommes-nous ?

Je crois plutôt que nous sommes victimes de nos propres travers.

Le premier d’entre eux est de céder à la peur et à la difficulté d’assumer le risque. Plutôt que de s’engager franchement et de convaincre par le volontarisme, nous préférons prendre notre temps. Pour beaucoup on peut craindre l’effet inverse : pourquoi se presser s’il y a des risques ? Quand on est sur une pente dangereuse, le professionnel qui a de l’expérience sait comment il faut avancer. Attendre augmente le risque et les événements inattendus. .
La peur face au risque est peut-être la conséquence de la judiciarisation de notre société, où les responsables peuvent voir leur responsabilité mise en cause .Dans un tel contexte, il faut être capable jusqu’à l’absurde de démontrer qu’il n’y à aucune faille possible.
C’est pourquoi le deuxième travers est de vouloir décrire  dans le moindre détail les modalités de mise en œuvre de la vaccination. Rien ne doit être laissé au hasard. Nous disposons d’une administration qui doit être capable de répondre à chaque cas particulier. L’effet visé est de déresponsabiliser les acteurs. Cependant, en les déresponsabilisant on leur faire perdre en professionnalisme. Cela engendre le cercle vicieux que l’on connaît.

Une crise doit constituer au contraire une formidable opportunité pour monter en compétence dans un cadre nécessaire qui donne le sens et la direction.
Pourquoi par exemple ne pas autoriser les EPAHD qui disposeraient de vaccins en trop, à anticiper la vaccination de personnes vulnérables suivies à domicile ou de soignants. Ce sont des doses gagnées et moins de temps perdu.

Par souci d’efficacité, on veut tout partout et en même temps.
Pour viser le 100 % d’efficacité, on se crée des contraintes opérationnelles insupportables. Ainsi est-il nécessaire de délivrer le vaccin au même rythme dans des régions où le taux d’incidence est très bas, alors que d’autres régions sont en crise. Savoir optimiser et expliquer les priorités est plus difficile pour un gouvernement. Cela oblige à reconnaître que la ressource est contrainte et surtout d’avoir un dialogue responsable avec les élus. Mais là encore, ne pas affronter la difficulté engendre l’irresponsabilité et les inconséquences.
Face a une crise générale et non localisée, on sait bien qu’il faut prioriser. C’est la condition nécessaire pour traiter vite les situations soit les plus complexes soit les plus rentables du point de vue de l’efficacité. Ne pas prioriser engendre la dispersion, une plus grande complexité. Et cela peut  aboutir à l’épuisement des acteurs qui doivent être présents partout. Par ailleurs, il est important de communiquer sur les victoires rapides. Cela redonne confiance et moral aux acteurs impliqués et permet de tenir dans la durée.
Enfin on préfère être juste à 100 % qu’à 75 %. On aurait aimé que le vaccin soit efficace à 100 % et sans effet secondaire. Il s’agit d’un idéal dont chaque épidémiologiste doit rêver.

Hélas l’idéal n’est pas de ce monde et il faut vivre avec un virus retors, qui nous créera beaucoup de surprise .En France, pays des Lumières, on aime avoir raison face au monde entier et on serait satisfait de donner des leçons à ceux qui se seraient trompés. Donc on prend notre temps, on vérifie et on plaide pour une sécurité plus grande afin de rassurer la population. Comme on n’évolue pas dans un monde idéal et que les Français s’en sont aperçus depuis longtemps, ils se méfient en même temps des institutions qui promettent que demain cela ira mieux .On assure que l’on aura rattrapé notre retard, mais qui sait si entre temps on n’aura pas été rattrapé par un nouvel avatar de la crise sanitaire. Tout ceci plaide pour expliquer avec fermeté et assumer les décisions prises dans les zones d’incertitude, selon les objectifs visés, sans fausse promesse et atermoiements.

Le président Macron a dit que nous étions en guerre. Le rassemblement ne se fera pas sans autorité et efficacité. Ne nous laissons pas submerger par la complexité bureaucratique.

 

Carole Froucht

Ex-cadre dirigeante d’entreprise