Intégrité de la recherche. Quels principes en temps de crise ?

Nous avons des pensées pour les professionnels mobilisés pour lutter contre le SARS-CoV-2. Trop de collègues ayant des expériences, des témoignages n’ont pas la disponibilité pour se poser, réfléchir et nous envoyer des messages. Je fais partie des confinés qui peuvent se concentrer et réfléchir. Nous devons garder un esprit critique pour analyser toutes les informations.

Mon propos s’inscrit à la suite du billet « Recherche biomédicale : quels principes en temps de crise ? » : « Les stratégies de recherche que mettent en place les scientifiques doivent relever de protocoles soucieux des valeurs engagées, et suivre des méthodologies se référant aux standards internationaux. » Dès 1865, Claude Bernard avait établi des règles pour la médecine expérimentale et la déclaration d’Helsinki, après la Seconde Guerre mondiale, va dans le même sens. Le concept d’intégrité de la recherche a été évoqué par Emmanuel Hirsch : « Cette culture de l’exigence éthique s’est avérée indispensable à la pertinence de la méthodologie des protocoles de recherche et à leur recevabilité dans le contexte de nos démocraties attentives aux valeurs de rigueur, d’intégrité et de responsabilité des pratiques de la science. »

L’intégrité scientifique ne se négocie pas

Le développement des concepts d’intégrité dans les années 1980 est postérieur à la déclaration d’Helsinki. C’est en 2010 que la déclaration de Singapour a été diffusée avec en préambule : « La valeur et les bénéfices de la recherche pour la société sont totalement dépendants de l’intégrité en recherche. Quelle que soit la manière dont la recherche est menée et organisée selon les disciplines et les pays, il existe des principes communs et des obligations professionnelles similaires qui constituent le fondement de l’intégrité en recherche où qu’elle soit menée. »

Cette déclaration définit quatorze responsabilités qui découlent de quatre principes : honnêteté dans tous les aspects de la recherche ; conduite responsable de la recherche ; courtoisie et loyauté dans les relations de travail ; bonne gestion de la recherche pour le compte d’un tiers.

Dans un contexte d’urgence, les agences, les comités de protection des personnes, les chercheurs et tous professionnels de santé ont fait le maximum pour raccourcir les délais liés aux temps de la décision de l’analyse des dossiers, en gardant une rigueur et une intégrité optimales.

Comment définir l’intégrité et ses manquements ?

Rigueur, honnêteté et intégrité sont des conditions indispensables à la constitution et à la validation du corpus des connaissances scientifiques. Un contrat de confiance tacite entre les chercheurs et la société existe car sans recherche, il n’y a pas de progrès. Les principes universels sont : « Il est mal de mentir, de cacher, de voler… » Le chercheur doit être intègre pour éviter des conséquences délétères au niveau sociétal. Des manquements à l’intégrité sont parfois non intentionnels. De jeunes chercheurs mal encadrés, sous pression, peuvent faire des erreurs honnêtes parce qu’ils n’ont pas toutes les connaissances des bonnes pratiques, des législations. Les erreurs honnêtes existent, et les reconnaître est une démarche vertueuse.

Les fraudes, fabrication et falsification des données sont rares. La plupart des chercheurs sont honnêtes et peu d’entre eux inventent des données. Ces fraudes sont médiatisées, car inadmissibles. Le plagiat, c’est-à-dire l’emprunt des phrases ou paragraphes d’un collègue sans en citer les sources est fréquent. Il doit être condamné. Le plagiat déforme peu les données sources, les faits et opinions recopiés. Il nuit aux personnes, sans inventer de données.

Les pratiques douteuses en recherche sont fréquentes et nuisent à la recherche. Les chercheurs sont sous pression pour obtenir des ressources et des promotions. L’évaluation de la recherche est basée sur le volume des publications comme indicateur. Des incitatifs pour publier beaucoup existent et tous les acteurs s’entendent sur cette course à l’obésité du curriculum : 1) les institutions évaluent les projets de recherche sur des volumes de publications en considérant la notoriété des revues sans analyser la qualité des recherches ; 2) les comités de rédaction des revues scientifiques acceptent des contes de fées pour augmenter la notoriété de leurs revues ; 3) les évaluateurs des projets de recherche et des manuscrits soumis aux revues favorisent des courants de pensée ; 4) les chercheurs sculptent leurs données pour améliorer l’acceptation de leurs manuscrits dans un petit nombre de revues prestigieuses.

Ces liens entre les acteurs de l’entreprise recherche incitent des chercheurs honnêtes à accepter des petits arrangements sur lesquels la communauté scientifique ferme les yeux. Les acteurs s’observent entre eux. Un expert peut être membre d’un jury d’évaluation, rédacteur en chef ou membre d’un comité de rédaction d’une revue, et il est aussi un chercheur qui soumet ses travaux à ses pairs.

Les pratiques douteuses en recherche nuisent à la conduite d’une recherche responsable

Les pratiques douteuses sont connues, avec par exemple : la sélection des données afin de mettre en avant ce qui marche, en cachant des données aberrantes ou gênantes ; le changement intentionnel des tests statistiques pour obtenir un résultat favorable ; l’embellissement des images avec des outils comme Photoshop pour jouer sur des contrastes, pour enlever ou ajouter des éléments en faveur des hypothèses ; le massage ou la torture des données pour favoriser une croyance dont le chercheur est amoureux ; la non-publication de recherches financées ; la « cueillette de cerises » pour élaborer un conte de fées.

Les quatorze responsabilités décrites dans la déclaration de Singapour ont pour objectif de prévenir la fraude et ces pratiques douteuses. Elles concernent les chercheurs (intégrité, fiabilité, respect des règles et méthodes, conservation des données, signalement des manquements) et les institutions (procédures pour répondre aux alertes, formation, règles claires pour l’avancement de carrière).

Une responsabilité semble mise de côté dans les débats actuels sur les traitements du Covid-19. Il s’agit de la « conservation des données brutes de manière transparente et précise de façon à permettre la vérification et la réplication de leurs travaux ». C’est un principe important : montrer ses données sources pour en permettre l’analyse par une équipe indépendante aurait résolu de nombreuses controverses sur les médicaments. Il existe une convenance sociale qui fait que les chercheurs, les pairs, les responsables politiques n’ont pas exigé une ré-analyse des données sur les médicaments supposés actifs.

L’auteur s’engage à fournir des éléments de preuve pour étayer les informations de cet article.

L’auteur est médecin de santé publique et rédacteur scientifique

Hervé Maisonneuve